mardi 20 décembre 2011

Pour un flirt avec toi


C’est une toute petite place dans Paris, un peu à l’écart du monde. Pas vraiment une place en fait, plutôt le croisement de plusieurs chemins poussiéreux dans cet endroit qu'on appelle le Père Lachaise. Ces derniers temps, j'y viens souvent en voisin, pousser des petits ballons d'haleine givrée les dimanche après-midi, pour cuver en silence mes excès de la veille alors que je regarde les filles déposer religieusement un baiser sur la sépulture d'Oscar Wilde. Et puis, j'aime bien déambuler parmi ces arbres dégarnis sur lesquels ne subsiste plus qu'un mince toupet de feuilles, un couvre-chef dont je sais qu'il ne survivra pas longtemps à cet hiver mordant.
C'est un lieu isolé, loin de l’excitation de la ville, un endroit où le temps n’a pas de prise, forcément c'est un cimetière, un endroit où rien ne s’écoule exactement de la même façon…. Un lieu un peu magique et idéal pour un amour caché, j’imagine. 

Depuis quelques semaines déjà, je la vois arriver par le même escalier défraîchi qui monte jusque-là, alors que j’ai moi-même emprunté un sentier escarpé, slalomant entre Molière et La Fontaine. Deux itinéraires distincts pour arriver au même endroit et se retrouver. Partager un moment de vie, une discussion, des rires, des regards… Avant de se quitter, difficilement, plus tard. Triste séparation à peine atténuée par la perspective de se revoir, minutes intenses durant lequel j'ai envie de m'abandonner à cette hésitation amoureuse. Mais toujours, chacun repart par où il est venu.
Et à chaque fois, cette envie de lui plaire, plus que celle, forcément plus égoïste, de l'impressionner. Ses cheveux miels, carré court presque plongeant à la Carey Mulligan, qui révèlent des traits mutins. Son enthousiasme et ses lunettes écaillées qui m'expliquent qu'elle est institutrice parce que "tu vois, c'est vraiment à cet âge qu'on peut faire une différence". Elle dit ça en me regardant droit dans les yeux et ça me touche de voir quelqu'un d'aussi investie dans son taf alors que je suis complètement paumé à ce niveau là. Et quand elle parle de son mec, ça me rend là aussi envieux parce qu'on voit bien qu'elle le met au-dessus de tout, qu'elle sait accepter le moindre de ses défauts voire même les apprécier, chose qu'il faut bien admettre j'ai toujours été incapable de faire, en témoigne la fulgurance de la plus longue de mes relations.  Et puis, elle a ce don pour te mettre à l'aise, un naturel qui lui vaut sans doute la sympathie de tous les garçons qu'elle rencontre, des types qui comprennent qu'ils n'ont pas besoin de s'allumer à coup de pintes et de shooters pour surmonter leur appréhension, des types qui n'ont qu'à ouvrir la bouche pour se sentir les plus spirituels du monde en sa compagnie. Une fille saine quoi.

Et c'est vrai que j'aime ses yeux qui s'agrandissent encore et encore, comme saisis d'une sorte d'amusante détermination, et toujours ils me sourient, enfin elle me sourit. Un sourire qui n'a pas peur de révéler ses belles dents blanches, un sourire qui s'assume et qui, aussi candide soit-il à cause des contours particuliers de son visage et de l'indépendance de son humeur, est toujours celui d'une invité étincelante. Et je me sens transporté toujours plus haut, pour ne retomber que lorsque le sourire, ayant atteint la limite de la grimace, s'efface aussi discrètement qu'il n'a été expansif. Et ça devient une drogue, et très vite l'envie de contempler ce visage avec un ravissement inépuisable. Et l'envie aussi, de le voir de plus près.

Sur cette petite place dont je vous ai parlé, il y a un autre escalier qui part et qui monte, encore plus haut. J'ai toujours été persuadé que cet escalier, un jour, nous le gravirions ensemble. Je savais pertinemment qu'elle était prise et heureuse mais enivré par sa confiance en moi et son bien-être, je me persuadais que même s'il fallait laisser quelques hivers s'écouler sur le Père Lachaise, tôt ou tard, on se trouverait. Et main dans la main, on entendrait Matt Berninger murmurer "I need my girl" dans l'air frais d'un dimanche après-midi. Oui, je le pensais sincèrement et je me disais que ce serait véritablement un joli symbole.#

Aujourd’hui, notre rencontre ne s’est pas déroulée comme prévu. Il se pourrait qu’à un moment ou un autre les choses nous aient échappés. Avec le recul, j’ai du mal à analyser ce qui s’est passé, à comprendre comment un tel séisme affectif a pu se produire. Comment elle a pu oser amener son mec dans ce qui était pour moi, ni plus ni moins, que notre sanctuaire sacré, ce lieu un peu magique et idéal dans lequel on vit heureux parce que l'on y est caché. D'une certaine façon, je n’arrive toujours pas à y croire et si je n'ai rien laissé transparaitre, au cours d'une discussion forcément moins spontanée qu'à l'accoutumée, moins animée, je sais qu'en la regardant descendre et disparaître solidement accrochée à l'épaule de son mec, une certitude s’est imposée à moi. Celle que nous ne monterons jamais ce grand escalier ensemble. Et tant pis si certaines choses sont faites pour rester à l'état de douces rêveries, il me reste toujours Matt Berninger pour les bercer...

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Autant le dire tout net, entre Matt Berninger et moi, ce sera à jamais, à la vie, à la mort. Mon pote barbu blond vénitien qui chante comme jamais le spleen car oui mesdemoiselles et messieurs, le Baudelaire des années 2000 est un baryton qui nous vient d'Ohio et qui balance sa déprime sur "I'm afraid of anyone". C'est mon wingman quand je veux passer pour un garçon sensible auprès de la fille qui est montée chez moi "boire un verre" et mon psy quand je veux combattre le désœuvrement à coup de "High Violet". C'est un peu de moi quand j'avais 17 ans et encore plus aujourd'hui, à 25 ans. Allez, j'arrête là mes divagations, joyeuses fêtes à toutes et à tous.


mercredi 30 novembre 2011

Le Connard enchaîné

Serial Photo-chopeur
“My soul you can have it cause it don’t mean shit". Je me la joue pseudo rebelle en fredonnant du Kasabian et en sirotant mon Lagavulin 16 ans d'âge parce que j'ai une barbe de trois jours et que j'ai gardé un peu d'affection pour Sergio Pizzorno. Et ce bien qu'il soit en pleine déliquescence capillaire et se mue progressivement en un ersatz cockney de Patou Eudeline. Et puis un peu aussi parce que la déchéance du type qui n'arrive pas à refermer la parenthèse dorée des années 2000 s'efface derrière le souvenir de toutes ses parties de PES 5 rythmées au son de "Club Foot".

Bon, je suis pas là pour vous parler métaphysique rock'n roll mais je dois bien avouer que je me sens un peu chafouin à ce stade de la soirée, une fois passée l'incertitude de ne pas rentrer seul, vu que deux ou trois filles potables, et pas forcément célibataires, ont été ferrées avec soin, à la faveur de quelques regards allumeurs, discussions complices et mains baladeuses. Et malgré tout, ou plutôt grâce à ça, avant de sortir par la grande porte de l'amour d'un soir, je me sens d'humeur à exécuter quelques ultimes acrobaties, gratuites et sans risques ; du coup complètement enivrantes. Et puis, l'envie de mettre un dernier tacle à cette Suédoise tout en jambes qui est l'épicentre de la soirée, me hante depuis le premier verre éclusé. Trop sûre d'elle, trop belle, trop évidente. En bref, insupportable pour le justicier que je suis, déterminé à distribuer les bons points de l'érotisme selon mon bon vouloir. Et que dire de l'accent traînant des pays nordiques qu'elle exhibe alors qu'elle interpelle tous les mecs de la soirée en leur demandant : "Tu me trouves bonne ?", feignant de ne pas vraiment saisir le sens de ce qu'elle demande. Sans parler du gloussement qui suit cette rhétorique socratique version blonde. Et alors qu'elle s'avance pour me saluer, je m'éloigne vers le bar en proie à une soif aussi soudaine que calculée, avant de revenir parler à la fille qui l'accompagne. Et c'est parti pour une discussion les yeux dans les yeux avec son acolyte, en prenant bien soin de ne pas jeter un seul regard à la classe mannequin. Ce soir, je n'ai même pas envie de lui faire remarquer que sa robe est horrible, que dans ce genre de soirée, le dos nu fait plus pute que BCBG. Non, je préfère encore lui infliger la douleur plus vicieuse de l'invisibilité et je suis tellement doué à ce jeu, que je pourrais presque choper mes verres en passant le bras à travers elle. Et puis, la musique commence à s'animer et nous dansons en petit groupe, une dizaine, puis pas plus de cinq, puis juste sa pote et nous, enfin elle et moi, et sans doute se dit-elle qu'elle va enfin observer ce regard lubrique qu'elle a l'habitude de voir s'allumer chez les hommes et que peut-être, je vais pousser le vice jusqu'à l'attraper par les hanches et oser me frotter contre elle. C'est sans compter sur cette pote d'école, en proie à une légère surcharge pondérale et une grosse montée d'alcool, mais qui a le mérite de passer près de nous au bon moment et sur qui je saute avec un enthousiasme complètement exagéré.

Une fois la soirée de la blondasse gâchée donc, je m'attèle à rendre épouvantable la nuit de cette grande brune qui me résiste depuis trop longtemps et qui à vrai dire, est la seule qui en vaille vraiment la peine ce soir. Elle a changé, pas complètement bien sûr. Quelque chose d'un peu plus triste qu'avant dans le fond de l'iris, ce genre de truc à peine perceptible qui fait qu'elle n'est plus vraiment la même. L'expérience ou la désillusion, difficile à dire. Je vous parle de Clarisse qui dans son chemisier blanc et son pantalon liberty a conservé cette cambrure super féminine qui l'avait érigée si haut dans la hiérarchie des filles de l'école. Le genre de nana que tout le monde idolâtrait  et qui avait le chic pour se rendre inaccessible comme peuvent d'ailleurs en témoigner les différents échecs essuyés par votre serviteur. Et pourtant, ce soir les années de célibat couplées à la perspective croissante de ne finalement pas rencontrer le mec idéal ont peut-être névrosé Clarisse jusqu'au creux de sa chute de rein enivrante. Fragile et indépendante, aussi paumée que la Patricia d'A bout de souffle, elle paraît toujours plus sur le fil du rasoir, trop obnubilée par le mec parfait pour pouvoir s'intéresser à ceux qui l'entourent et repliée du coup dans une solitude aseptisée. Et si j'avais une once de cœur, je m'émouvrais de tout ce spleen mais j'ai encore en tête cet open bar au cours duquel ses yeux gris-vert m'avaient éclaboussé de dédain alors que je tentais, presque par habitude, une nouvelle approche.

"Nous sommes dans des dynamiques différentes", me répond-t-elle. Et c'est le moins qu'on puisse dire vu que je cherche à la baiser depuis 5 ans déjà et qu'elle ne pense qu'à se caser. Et pourtant ce soir, elle a rarement refusé mes invitations à danser et même si j'ai du mal à sentir le vent tourner, ses yeux n'en brillent pas moins d'avantage chaque fois qu'on se croise. Et si je prends un malin plaisir à discuter avec elle comme si rien d'autre n'importait, le temps d'une chanson, ce n'est que pour mieux l'abandonner, la suivante lancée. Car je sais que me voir à quelques mètres d'elle, riant bêtement, mes mains posées sur les cuisses d'une inconnue, suffit largement à empoisonner sa soirée. Et pour cause, elle se tire sans un mot.

Enfin, pas peu fier de mon effet, je m'apprête à quitter ce beau petit monde au bras d'une nana cheveux châtains virant auburn, cul sublime et grain de beauté au coin de la bouche. Ne me reste plus qu'à récupérer mon caban pour survivre à l'enfer glacé de l'hiver parisien. Mais au moment d'entrer dans la chambre où tout le monde a déposé ses affaires, je ne peux m'empêcher de marquer une hésitation alors que je vois mon manteau et le sien, avachis sur un fauteuil, main dans la main, emmêlés avec une familiarité soudaine, une lascivité et une évidence qui me semblent n'avoir qu'une signification... Et je me dis que si dans sa précipitation, Clarisse a oublié son manteau, ce soir j'ai moi même oublié d'arrêter d'être con.




mardi 22 novembre 2011

Les chansons d'amour (sous la pluie)


J'avais rencontré cette fille au cours d'une de ces soirées étudiantes sur lesquelles semblent pleuvoir des cristaux de MDMA, une fois la nuit tombée, en mode on se galoche tous et les échanges de fluides corporels vont bon train. Déjà, son visage de vieille adolescente au regard figé d'ennui tranchait singulièrement dans cette mare de sentiments, noyé dans l'odeur âcre de la transpiration et de l'alcool. On s'était quittés comme on s'était abordés, sans promesse pour quoi que ce soit de plus. C'est à peine si elle m'avait murmuré qu'elle avait froid lorsque je lui touchais l'épaule une dernière fois, l'esprit déjà tourné vers une autre. Il faut dire qu'à cette époque-là, passer plus d'une nuit avec la même fille me semblait une atteinte à la liberté que doit avoir tout jeune homme de 20 piges dans la découverte de son corps et de celui des autres. Et c'est non sans une certaine malice que je sautais d'un lit à l'autre. Chien fou.
Les années passants, je me suis surpris à repenser à ce dos nu qui me dévisageait avec morgue au petit matin et au profil ascendant de sa hanche, accentué parce qu'elle était sur le côté, une jambe légèrement repliée. Et je regrettais de ne pas avoir pu figer une dernière fois ces traits fins un peu trop pâle dans le marbre de mon esprit, réalisant trop tard, que j'étais peut être passé à côté de quelque chose. Mes efforts en matière de stalking et autres recoupements d'amis d'amis ayant fait chou blanc -c'est comme si elle s'était évaporée- l'amertume de ne pas la revoir s'était peu à peu mue en certitude de garder au moins un agréable souvenir de jeunesse.

5 ans plus tard, les reflets des lampadaires du jardin public de la Porte de Saint Cloud scintillent sur un trottoir trempé que je dévale vitesse grand V et je pourrais trouver ça beau si mes Clarks gorgées de flotte ne me donnaient pas la sensation de marcher sur l'eau comme un Jésus des temps modernes alors qu'en dépit de mes efforts pour les plaquer, la pluie frise mes cheveux de manière toujours plus insolente. Et puis ça a quelque chose de déprimant de sortir dans le crépuscule alors qu'il est à peine 6 heures passé, en plein mois de novembre, non ? Et comme de juste, je n'arrive pas à éprouver ce mélange de libération et soulagement qui m'habite habituellement, une fois la porte de mon taf passée, et pour cause, la pensée de la revoir après tout ce temps me tenaille l'estomac. Car oui, il faut croire que la vie n'est pas toujours garce et qu'elle réserve parfois des secondes chances, même aux idiots.
Je l'avais croisée alors qu'elle faisait des courses avec Mathieu, "son ami". J'avais beau eu rabâcher ces deux mots a priori anodins, les jours qui suivaient cette rencontre, je n'avais pas réussi à leur donner le sens que je cherchais. Entendait-elle par-là, UN ami ou SON ami ? Faute d'avoir pu déceler dans leurs gestes respectifs la trace d'une quelconque relation charnelle, je m'étais dit que le meilleur moyen d'être fixé était de l'inviter à boire un verre. N'avait-elle pas dit elle-même que "ce serait bien de discuter du bon vieux temps" ? Quel bon vieux temps d'ailleurs ? On avait juste couché ensemble, une fois. Et puis pourquoi BIEN et pas SYMPA ou COOL. Fatigué de me perdre dans des considérations sémantiques, je lui avais envoyé donc un texto. "Avec plaisir, m'avait-elle répondu." PLAISIR, hum.
Les heures précédents mon rendez-vous avec Anna, j'ai développé les symptômes, chez moi habituels, de tout béguin. Un estomac qui papillonne au moins autant que mon esprit durant ces minutes interminables passées à rêvasser d'elle, à imaginer dans le moindre détail le cours entier de notre histoire à venir ; depuis notre premier baiser jusqu'à notre deuxième première fois, depuis notre emménagement ensemble jusqu'au jour de mariage, depuis notre dispute sur le groupe de musique qui jouera ce jour-là à celle sur le prénom des enfants. Un rituel qui, s'il me fait souvent passer pour un psychopathe aux yeux des gens auxquels je le raconte, a au moins le mérite de me détendre et de me faire penser que ça va forcément bien se passer.

Elle n'a pas vraiment changé. A peine a-t-elle développé ces quelques rides caractéristiques des filles qui n'ont pas peur de trop rire, de fins sillons qui partent de la commissure de ses lèvres et embellissent plus son visage qu'ils ne le vieillissent. Dans sa tenue des plus simples, un haut blanc, un short en jean et des bottines vernies, elle a un petit air de Charlie Hilton, la brune mystérieuse de Blouse. Avec des traits moins durs. Sa seule excentricité semble en fait se manifester dans la lourde bague qu'elle porte à l'index droit et dans ses ongles vernis de noir. On s'est retrouvés dans ce bar de Bastille qui porte le nom d'une chanson des Rolling Stones, un bar discret à la devanture rouge dans lequel j'aime bien emmener les filles pour les voir se faire happer par la déco complètement kitsch. Les peaux de léopards qui tapissent les murs, les néons colorés qui vous électrisent… Et puis, il y a rarement grand monde avant 22 heures en semaine, ce qui permet de se laisser bercer par les morceaux des Stones en toute intimité.
On échange des propos sans queue ni tête, on parle d'un tas de choses, je ne sais plus très bien de quoi. De ce prof qui aimait tâter de la bouteille. Et comme on parle de cette nouvelle qu'elle écrit, on dérive sur Mailer et cette histoire de canif qu'il a, un jour, planté dans le sein de sa femme et alors qu'elle joint le geste à la parole, ces grands yeux frémissent et m'éclatent à la figure. Je vous jure, les yeux bleus de cette fille sont des pics de forage si paradisiaques qu'ils subliment l'ennui. Des morceaux de glaces azur surplombés de cils dont le battement d'aile suffirait, j'en suis sûr, à provoquer une tornade à l'autre bout de monde… ou mon sourire béat alors que je suis juste en face d'elle.   
J'ai envie de lui dire que l'idée que quelqu'un puisse lui planter quoi que ce soit dans sa poitrine me fait horreur. Que ces seins, je n'ai qu'une envie, les embrasser. Mais malheureusement pour moi les mots restent cramponnés au fond de ma gorge comme des GI's qui partiraient au front à reculons alors je dégaine un ensemble de banalité. Et comme je sais que j'ai pas le charisme d'un Ryan Gosling au point de faire tomber les filles sans avoir besoin de prononcer un mot, je commence à m'inquiéter de la tournure que prennent les choses. Car j'ai peur que ne s'installe cette tension "asexuée" dont je sais qu'elle flottera de façon irrémédiable si je n'arrive pas à provoquer ce point d'inflexion où le verre entre "amis" devient un rencard. Et peut-être que je mets trop de pression à vouloir tout trop vite, à pas laisser la complicité s'installer et le charme infuser tranquillement mais ce genre de rendez-vous s'apparente pour moi à une véritable course contre la montre dans laquelle le barman qui revient inlassablement remplir nos verres est un allié efficace. Qu'importe les dialogues, pourvu qu'on ait l'ivresse.

Et alors que l'horloge tourne, que le barman semble me jeter un dernier regard complice en mode "Mais t'attends quoi coco ?", elle me dit qu'elle a envie de sortir fumer une clope. A l'air libre, j'observe sa bouche narquoise et sa façon de plisser les yeux alors qu'elle cherche le briquet dans son sac et je me dis que si je veux l'embrasser, c'est maintenant ou jamais, avant que l'on ne soit engloutis par la bouche d'un métro. Là où tout est forcément moins romantique. Et la pluie recommence à tomber, et je me dis que j'aimerais bien qu'Honoré vienne nous filmer parce que lui saurait quelle suite donner aux dialogues pour que le scénario se finisse bien et s'il le faut je suis prêt à me lancer dans de grandes envolées lyriques, à m'agripper à ce lampadaire qui semble me faire de l’œil, pour lui demander si elle a déjà aimé pour la beauté du geste avec la morgue nonchalante d'un Louis Garrel.

Et c'est au moment où je m’apprête à lâcher l'affaire qu'un SDF surgit, qui invective les passants et pue le pinard à 10 mètres et là je me dis que c'est le comble parce qu'il a pas l'air d'avoir envie de nous lâcher et je sens, que comme d'hab, il va falloir me dépêtrer d'une nouvelle embrouille. Mais c'est quand il lui jette à la figure, regard de tarsier à l'appui, mi-bourré mi-habité, "Tu es pâle comme  la mort" que je comprends que le signe que j'attendais tant vient d'arriver , qu'au fond on a tous droit à notre instant de cinéma, cet instant où on oublie cette insécurité qui nous ligote en permanence . Et j'ai beau avoir bu pas mal de verres, j'ai l'impression de ne jamais avoir été aussi lucide qu'à cette minute où par je ne sais quel instinct protecteur, j'ai envie d'éteindre ce regard azur empli de doutes alors que je l'attrape par les hanches, comme si chacune des pressions de mes lèvres  sur sa bouche pouvait lui insuffler un peu plus de vie. Autour de nous, la pluie n'est plus que bruine et les cris murmures. Silence, on tourne.

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Parce qu'on a tous droit à notre dose d'amour, voici un clip qui exalte la romance sauce malaise et donnera raison à ceux qui pensent qu'on se fait parfois baladés comme une marionnette lorqu'on est amoureux. Sinon, j'espère que vous ça va.




vendredi 21 octobre 2011

Une teille de plus à la mer

A.M.
Les garçons gueulent et les filles gloussent. Les verres tintent et les murs tremblent. Elle fait la gueule et moi je râle et je lui demande pourquoi elle ne m'appelle jamais avant minuit, pourquoi elle me demande toujours de la rejoindre dans des endroits pas possibles, beaucoup trop bruyants et alcoolisés pour que l'on ait une discussion d'adulte. Elle hausse ses sourcils épais alors que ses cheveux noirs coulent sur son gilet blanc angora comme une bouteille d'encre dans l'écume de la mer. Elle soupire.

Je vous assure que c’est douloureux d’être amoureux d'une fille à s'en empoisonner les sens, sans trouver aucun remède ni échappatoire. C'est encore plus compliqué lorsque son cœur est déjà pris et qu'on n'a pas d'autre choix que de laisser le "i" d'aimer se noyer dans l'amer, pendu à un état de nausée permanente, tenaillé par l'envie de lui vomir nos sentiments à chaque fois qu'on la voit sourire à son mec, lui effleurer la main ou lui caresser la joue dans un sourire entendue. Dans ces moments, je pense à ce con de Sacha Guitry qui criait à qui voulait bien l'entendre, qu'à tout prendre il vaut mieux aimer qu'être aimé. Et venant d'un type qui a dû coucher avec le tout Paris d'après-guerre je pourrais trouver le commentaire amusant si ma misère sentimentale ne le rendait pas infiniment amer.

Et c'est encore le tracas qui me hante quand je la regarde dans les yeux alors que son silence me plombe, quoique puisse en penser celui qui m'a dit un jour que si la parole est d'argent, le silence est d'or. Son mec lui fait un signe et elle m'abandonne, une fois de plus, alors sans un mot je me dirige vers la fenêtre pour essayer de ressaisir ce qui peut l'être encore. Dehors, la lune éclabousse la cour intérieure et je sonde le ciel privé de toute étoile par la pollution parisienne. Seul l'écho d'une bouteille qui se fracasse dans la benne à ordure vient rompre un silence qui contraste avec le brouhaha qui s'annonce derrière moi. Un type vient me voir pour engager la discussion et fait les frais de ma mauvaise humeur, du moins jusqu'à ce qu'il me tende un joint dont les quelques bouffées me le rendent beaucoup plus sympathique. Au moins son herbe me permet-elle d'évacuer partiellement la rage sourde qui m'anime, une violence que je ne peux diriger vers personne d'autre que moi-même car après tout, elle, je l'aime. Et peu à peu, ses lèvres semblent remuer en silence et je n'entends plus ce qu'il dit, une bribe de mots mis à part. Du genre "c'est cool non ?" ou "donc là je vois ce type". Et je me contente d'acquiescer de la tête car à ce stade de la soirée les mots n'ont plus de sens ou d'importance. Le sourire de ce type fait écho au sien, oui c'est bien d'elle que je vous parle à nouveau, elle qui me balance son bonheur à la figure à chaque fois qu'elle approche son mec, au point que j'en ai les jambes qui tressaillent. D'ailleurs, je me rends compte qu'il est temps de les prendre à mon coup, conscient que je dois être le seul îlot de tristesse dans ce maelström de félicité, alors je dévale chaque marche qui m'éloigne d'elle avec l'enthousiasme d'un taulard qui part en permission et je me retrouve, seul, dans la rue.

Et même les arbres semblent soupirer, stimulés par le vent qui siffle entre les dernières feuilles de l'automne, et j'ai envie de courir comme un fou, porté par l'écho précipité de mes pas qui hurlent dans les rues désertes, sans jamais m'arrêter de peur que mon corps fonde en larmes. Mais déjà j'ai besoin de reprendre mon souffle dans l'un de ces rades ouverts toute la nuit durant et je balaye la salle du regard, passant des quelques piliers de comptoirs habituels à ces trois nanas passablement éméchées, avant de me poser sur le comptoir en zinc et commander un verre de sky. Le pli qu'il a au coin des lèvres donne au barman des airs de John Fante berbère et je me dis que c'est bon signe, d'ailleurs c'est clair qu'on se comprend car, sans un mot, il porte une bouteille au bar, en prévision des prochaines heures passées à éponger ma tristesse.

Et comme souvent, à coups de verres de whisky, je tabasse la déprime qui se niche sur mon épaule depuis ce jour où j'ai croisé son regard amande. Et comme toujours c'est Jack qui prend le dessus dans ce combat de boxe éthylique et chaque rasade est un uppercut qui me rend toujours plus groggy. Et je sais bien que, tôt ou tard, je finirai au tapis, lorsque l'hébétude aura éteint toute trace de vie dans mes yeux mais je ne peux m'en empêcher, tant il est plus facile de baisser les bras que de sonder les recoins cachottiers de son cœur recouvert de laine nacrée… Ou de partir dans une guérilla sentimentale, le couteau entre les dents et le cœur en bandoulière.

Et puis comme après toute fête passée avec elle, ou à défaut dans la même pièce qu'elle, vient ce moment où je me dis que plus tard, alors que la nuit se dilue dans le début de la journée et que les lève tôt côtoient enfin les couche tard, j’aimerais la ramener chez elle, juste pour lui tenir la main dans le métro, parce que rien ne me rendrait plus heureux que ce plaisir simple que les Beatles chantaient. Et je laisserais sa tête brune reposer sur mon épaule alors que je respirerais tranquillement les effluves parfumées de ses cheveux, soûl de bonheur. 

Mais au lieu de tout ça, ivre de whisky et de frustration, je sais déjà que je finirai allongé dans le lit de cette blonde qui ne me lâche pas des yeux depuis tout à l'heure. Et je sais aussi que je lui ferai l'amour de façon brutale et maladroite, me comportant comme le pire des connards, refusant de goûter à l'intimité de ses lèvres et oubliant son nom à la minute où je la quitterai… Juste parce qu'elle ne porte pas de gilet blanc angora.



mercredi 12 octobre 2011

Pour une poignée d'amour



Je suis allongé et je sais où je suis… Et c'est déjà un miracle. L'haleine chaude de la rue gonfle le rideau de la chambre et vient caresser langoureusement le bas de ma nuque. Il est 14 heures et le soleil qui déchire la pièce de manière presque aveuglante nous rappelle à la réalité alors que toute une vie s'affaire au dehors, depuis un moment. Je lui propose un verre mais elle me dit qu'une vraie femme peut boire au goulot alors je lui passe la bouteille de Jack et je vois sa gorge se nouer lorsque le liquide traverse sa glotte. Elle ne peut s'empêcher d'esquisser une légère grimace qu'elle réprime alors qu'elle gobe son cachet de Xanax. Elle me dit de ne pas m'inquiéter. J'allume un clope que je lui tends, une fois mon bras passée sous sa masse de cheveux bouclés à la couleur indéfinissable. J'attire ce visage aux yeux de chats vers ma poitrine dans un ronronnement de plaisir et je la regarde droit dans les yeux pour lui faire comprendre qu'aujourd'hui ce n'est qu'elle et moi.  L'avantage avec elle c'est qu'on ne s'embête pas à entamer des préambules interminables ou à ponctuer le sexe de paroles dénuées de tout sens, juste parce que les silences sont trop lourds. Non, on se fait plutôt les partisans d'un amour aussi minimaliste que la déco de cette chambre dont le seul meuble est la table basse en cerisier, d'un designer japonais coté à ce qu'elle m'a dit un jour, et qui sert à la fois de bar et de table de chevet. On trinque à ça, sans un mot et sans lever le coude.

Se dégageant de mon étreinte, elle se lève et se dirige vers l'enceinte située dans un coin. Elle pianote nerveusement sur son IPod et arrête son choix sur un morceau qu'elle écoute en boucle depuis qu'elle a vu le film de Nicolas Winding Refn, Drive. Elle commence à enchainer les poses lascives en minaudant sur "A real Hero" de College. Je me fends d'un sourire alors elle me pique mes lunettes et commence à me mimer, vêtue de ma seule chemise, baignée dans la lumière blanche de ce début de journée qui n'en est pas un. A une chemise à carreau près, on pourrait se croire dans un de ces shoots du journal de Terry Richardson où Terry et son modèle échangent leurs fringues. Elle a les pieds sales et les cheveux ébouriffés comme une Manon des sources qui auraient un peu trop trainé ses fripes sur les trottoirs parisiens  mais n'en est pas moins belle pour autant. C'est d'ailleurs ce qui l'a rend si terriblement excitante, le peu d'intérêt qu'elle porte à son apparence extérieure et puis, elle ne porte pas de culotte et me laisse admirer son pubis rasé de près. Un sexe de jeune fille qui me met l'espace de quelques instants mal à l'aise. Le temps de planter mon regard sur ces lèvres fermes que seules des années de pratique ont pu pétrir… Me voilà soulagé.

Elle glousse, se contorsionne et rabat ses cheveux vers son épaule gauche, son sourire s'évapore dans une moue badine. Elle danse autour de mon envie et mon sang ne fait qu'un tour, affluant massivement vers le bas de mon corps. Elle le remarque et en profite pour revenir à la charge, se faufilant à travers les draps, effleurant volontiers mon entrejambe avec son bassin. Je l'attrape fermement par des hanches pour lesquelles je perdrais mon âme si ce n'était déjà fait et je la plaque contre moi, essayant de presser mes lèvres contre les siennes, en vain. Il semblerait que son plaisir soit de résister au mien, comme pour me faire comprendre qu'ici, c'est elle qui décide. Docile, je bats en retraite et me console en me rappelant qu'on a fait l’amour toute la nuit. Une nuit irréelle tellement nos corps transpiraient l’évidence, à l'unisson d'une discussion qui n'avait pour langage que celui de nos gestes. Une nuit comme elle seule peut m'en offrir.

Je lui demande si cela ne la fatigue pas de jouer en permanence un rôle. Elle me répond qu'on s'épuise plus à aimer qu'à faire semblant d'aimer et puis, elle a passé l'âge de s'enthousiasmer pour un baiser à la dérobée ou un garçon rencontré dans un bar… Elle ne veut pas non plus s'attacher, elle préfère le charme de rencontres éphémères à la monotonie des relations longues durées où on fait l'amour (passé un certain stade on ne dit plus baiser) comme on remplit ses formulaires administratifs, de manière régulière mais trop épisodique, une fois par semaine, lorsque les enfants sont couchés ou que Masterchef vient de se terminer. Elle se contente d'offrir sa beauté méprisante à qui sait la récompenser à sa juste valeur. Elle n'est pas romantique, juste un physique prometteur qui traverse la nuit d'un jeune homme, d'un père de famille ou même d'un grand père, le temps d'une nuit, d'une étreinte, d'un souffle. Elle préfère disparaître au petit matin avant de ne pouvoir susciter que de l'indifférence, elle n'a pas le temps de s'encombrer de petits déjeuners partagés sur le lit et puis elle n'a pas envie d'entendre les "Qu'est-ce qu'on mange ?", "Les gosses sont couchés ?" ou autres "Dis-tu m'aimes ?". Elle ajoute qu'elle ne veut plus m'entendre tout court.

Ne sachant pas trop quoi répondre à tout ça, je me contente de fixer consciencieusement le plafond comme type qui sait s'asseoir sur un lit, sans un mot, en me demandant tout ce que cela cache.  Et puis elle me dit qu'il est temps d'y aller alors j'engloutis une dernière rasade de whisky, j'enfile mes fringues et je laisse 500 euros sur sa table basse. A la semaine prochaine.

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Oui je sais, vous en avez marre de tous vos potes qui postent Kavinsky, College ou Desire sur leur wall Facebook, depuis une semaine. On s'en fout non en fait ?


mercredi 5 octobre 2011

Femme Fatale



Je me rappelle encore la première fois que je l'ai aperçue. On venait à peine de reprendre les cours. Dans sa robe blanche à pois bleus et à col claudine, Elisa avait un petit air de Catherine Deneuve époque Demoiselles de Rochefort, une mèche blonde en permanence collée à son front, sous l'effet de la transpiration et de ses courses effrénées. Déjà à l'époque, elle préférait la compagnie de garçons qu'elle laissait rarement indifférents d'ailleurs. Et déjà elle avait ce regard doux mais sûr d'elle, un regard qui inspirait un mélange de crainte et d'admiration, un regard qui me faisait inexorablement baisser la tête et bafouiller des excuses confuses, quoique j'aie pu faire.
Je ne comptais plus les cours passés ensemble ou les fois où je me retournais vers elle, pas très discrètement il faut bien l'avouer, juste pour m'assurer de sa présence, comme si elle menaçait de disparaître à tout moment. Les heures où je ne la voyais pas n'étaient pas un problème car je les passais à l'imaginer avec moi. Dans ma chambre, sautant d'un rêve à l'autre, je me voyais la sauver d'un loubard qui l'aurait attaquée au détour d'une ruelle sombre avant de lui prendre la main et de monter dans le premier train ou bateau venu pour quitter ce monde trop adulte, trop oppressant. Dans les moments les plus pénibles de mon existence, je n'avais qu'à visualiser ce sourire innocent pour pouvoir avancer encore quelques kilomètres et surmonter les barrières les plus grandes. Avec elle à mes côtés, je sentais que rien ne m'était impossible… A part peut-être lui parler.

A mes potes qui me disaient "laisse tomber les filles", comme les émules de France Gall qu'ils étaient alors, je ne pouvais opposer que le silence du mec incompris. A ma mère qui essayait de comprendre l'origine de mon chagrin, je répondais par un haussement de sourcil typique de celui qui veut couper le cordon ombilical qui l'emprisonne depuis trop longtemps. Faute d'alternative ou d'aîné vers qui me tourner, j'avais pris conseil auprès du dernier interlocuteur de la maison, mon père, qui, manifestement peu satisfait que je le tire de sa sieste, avait émis dans un grognement que j'étais vraiment con de me poser tant de questions, qu'il suffisait que je tente ma chance comme il l'avait fait lui-même avec ma mère.  Même si je trouvais l'argumentation un peu légère, conscient que la psychologie n'avait jamais été son fort, je m'étais tout de même résolu à aborder Elisa le lendemain même. Si je ne le faisais pas pour moi, au moins devais-je le faire pour mon père et ne pas être le con de l'histoire.

Le pas chancelant, je m'étais approché d'elle alors qu'elle s'était plantée seule, sur un banc. Comme d'habitude, elle avait le visage humide mais ce n'était cette fois pas la transpiration qui en était la raison sinon les larmes qui s'étiolaient de ses beaux yeux vert clair et perlaient avec constance le long de sa joue. Je savais que seul un garçon pouvait être la cause d'un tel désarroi et me doutait aussi que ça ne pouvait pas être moi. Je me rappelle avoir eu un moment de recul mais, porté par les mots de mon père qui résonnaient une dernière fois dans mon crâne, j'avais quand même trouvé la force de sortir un mouchoir de ma poche et de le lui tendre. Un geste inconsidéré que j'ai regretté sitôt mes yeux poignardés par ce regard d'autant plus fier que la situation était triste. Sans un mot pour moi, elle s'est levée, essuyant ses larmes avec le revers de sa robe et s'éloignant de manière très théâtrale, vous savez comme dans ces films où la fille quitte un héros dépité, les images tournent en slow motion et une petite musique lancinante vous fait prendre la mesure du désarroi du type. A ce moment-là, c'était le Femme Fatale du Velvet qui ronronnait dans ma tête.

J'avais 8 ans et je venais de me rendre compte qu'il vaut parfois peut-être mieux se sentir con que terriblement triste.

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Une pensée pour Nico, une fille qui, même ravagée, réussissait à garder un charme innocent, des pupilles littéralement bouffées par l'héro et un regard effrayant dans lequel on aimait se noyer alors qu'elle minaudait, un peu mystique, énormément défoncée, les paroles écrites par Lou Reed. Et puis, elle nous a quand même donné un des plus beaux album du Velvet (avec le Whight Light, White Heat faut pas déconner). Une femme fatale quoi.


mardi 20 septembre 2011

Les grands garçons ne pleurent pas

Pffuuuuuuuuuuuuu

Je me suis affalé sur le lit, la tête tournée vers le plafond, bercé par les lumières des voitures qui passent au dehors et s'immiscent dans la chambre. Tout ça me rappelle les étoiles en plastiques que ma mère collait au plafond pour m'aider à surmonter mes angoisses noctambules, petit. J'avais à peine 8 ans mais déjà j'avais compris que le monde n'était qu'une vaste merde et que je ne serais jamais mieux que dans mon lit, blotti dans ma couette, à l'abri de cet au dehors qui ne nous ménage jamais. Même si je n'ai aujourd'hui plus peur du noir, je me dis que les choses n'ont pas vraiment changé.

Elle presse sa tête sur mon épaule et pique un de mes écouteurs alors que j'écoute "Big Boys don't cry", en tapotant de la main sur sa cuisse. Elle me demande à quoi je pense, et je réponds, rien. J'ai à peine le temps de tourner la tête vers elle qu'elle me repose la question. Je dis encore, rien. En fait, je pense juste que j'ai vraiment envie d'un verre de sky. En fait, je pense à notre soirée et au pourquoi du comment de ce fiasco général. Je pense à la première fois que je l'ai vue, la veille, emmitouflée dans son bonnet péruvien et son écharpe, le bout du nez rosie par le froid.

Elle était vraiment belle et ce même si elle riait beaucoup trop, à mon goût, aux blagues de ce connard à mèche, pull Ralph Lauren sur les épaules. Ca m'avait pas arrêté pour autant et j'avais quand même pu briser la glace de ses lunettes cerclées de noir. Un verre en entrainant un autre, c'était même moi qui avais réussi à l'entrainer dans ma piaule d'étudiant. Je mentirais en disant qu'aucun de nous deux n'était pas légèrement gêné au petit matin. Le sexe avait été OK. J'étais un peu trop bourré pour être l'amant prévenant qu'elle espérait sans doute mais avait mis suffisamment de volonté pour combler mes lacunes éthyliques. Du moins est-ce ce que son sourire matinal m'avait laissé imaginer.

On s'était séparés au beau milieu d'une étreinte parce que son portable avait sonné et qu'elle n'avait finalement pas le temps ou l'envie de faire plus. On s'était promis de se revoir, sans plus de conviction que ça, mais je m'étais surpris à repenser à elle, la porte à peine claquée. En temps normal, je n'ai qu'une envie, sortir me balader dehors, seul au milieu de la foule, le sourire au coin des lèvres, ce sourire que seul les initiés peuvent deviner, l'arrogance joyeuse de celui qui vient de tirer son coup poussée à son paroxysme.  Rien de tout ça cette fois ci, juste l'envie de la presser à nouveau dans mes bras alors je lui avais envoyé un texto en lui disant que je voulais la revoir le soir même et j'avais imaginé son amusement lorsqu'elle m'avait répondu qu'on avait une "discussion", les guillemets étaient d'elle, à reprendre. Qu'elle était d'accord.

J'avais fondé pas mal d'espoir dans ces retrouvailles mais avais vite déchanté. Je me suis rendu compte assez rapidement que tout ce qui m'avait séduit chez elle me faisait à présent horreur. La facilité qu'elle avait à se confier et qui m'avait paru si touchante, la veille, me paraissait insupportable. La manière qu'elle avait de replacer sa mèche derrière l'oreille, geste que je trouvais adorable, relevait à présent du tic superflu. C'est à peine si je pouvais la regarder dans les yeux, les dents à peine desserrées, l'écoutant me raconter sa journée. J'avais subitement compris que cette fille et moi n'avions rien en commun, rien à faire ensemble. Qu'y pouvais-je si elle ne l'avait pas compris.

Je lui ai à peine laissé le temps de finir son café et lui ai attrapé le bras, la poussant vers la sortie, prétextant une envie de nicotine pour masquer mon besoin d'air frais, insupporté par cette atmosphère trop oppressante. J'avais besoin de marcher pour comprendre ce qui n'allait pas et lui ai proposé de la raccompagner, geste qu'elle a forcément mal interprété, lorsqu'elle m'a invité à monter boire un verre. Je me suis senti obligé de dire oui. Un peu pour elle, surtout pour moi. Je n'avais pas enduré tout ça pour rien après tout.

Le sexe était OK. J'étais peut-être suffisamment sobre pour être l'amant prévenant qu'elle avait espéré mais n'avais plus l'enthousiasme nécessaire. Alors je me suis juste contenter  d'entrer dans ce vagin un peu enfantin, un vagin qui a très vite enserré mon sexe avec la fermeté d'un enfant qui s'agrippe à une main, de peur de perdre son équilibre. Ici c'était tout simplement l'envie de goûter au plaisir qui avait guidé cette étreinte marquée, une étreinte que j'ai pris soin de rompre dès que possible, en me dégageant brusquement, pour pouvoir retourner à mes réflexions égoïstes, rythmées par le mix d'Aeroplane. A ma décharge, en temps normal, je suis plutôt du genre à m'abandonner complètement à celle que j'aime, je me laisse jouir et rester en elle, avant de m'endormir. L'un dans l'autre, on peut somnoler en chien de fusil, mon sexe dans le sien. Rien de tout ça ici bien évidemment, j'avais juste envie de passer à autre chose et de lui signifier notre différence par cette barrière physique.

Elle me redemande à quoi je pense vraiment. Et je redis, rien. En fait, je me dis juste que les choses sont peut-être simplement moins belles à jeun. Alors, sans un mot, je sors finalement me servir ce putain de verre.

mercredi 14 septembre 2011

C'est pas elles, c'est nous



Il se sent comme Noé sous le déluge, sans son zoo. Juste un pauvre type qui conduit sous des trombes d'eau, seul. L'émule de Robert de Niro, dans Taxi Driver, qui prie pour une seul chose, que l'averse torrentielle balaye un bon coup tout ce que sa vie compte de merde. Il regarde dans le rétroviseur intérieur de sa caisse et n'aime pas ce qu'il voit. De la tristesse et de l'amertume, voilà. Il sent la voiture s'échapper un peu plus à chaque coup de volant... Et ses nerfs et son âme avec.  Il se sent comme le cavalier qui perd peu à peu sa tête et dont la course sans fin, plongé dans la noirceur de la nuit et de ses doutes, ne peut être interrompue que par une seule chose, cette chose qui commence par un m majuscule et qui vous enveloppe sous son lourd manteau.

Il ravale ces paroles qu'elle lui a balancées à la gueule comme un chiot qu'on jette à la flotte, pour en finir une bonne fois pour toute. Il se les répète inlassablement, changeant le rythme et la tonalité de sa voix comme pour mieux s'en imprégner. Ces paroles qui semblent s'attarder sur sa langue râpeuse avant de traverser sa gorge, comme un couteau qu'on prend plaisir à remuer dans une plaie. Il est envahi par le tumulte des excuses de cette fille qu'il a tant aimée et sur le point de se noyer sous le flot des "C'est pas toi, c'est moi." Cette excuse fadasse que l'on ressert aux nanas ou aux mecs avec qui l'on casse, pour lesquels on ne ressent absolument plus rien et qui, par conséquent, ne méritent rien de mieux que les clichés habituels. Il savait bien qu'il y avait forcément quelque chose qui expliquait cette décision brutale. Au moins méritait-il de l'entendre.
C'est peut-être ça qui l'attriste le plus au final, le peu de considérations et d'efforts qu'Anna a mis dans leur rupture. Si elle avait éprouvé un soupçon de sentiments à son égard, elle lui aurait peut-être même menti, nourrissant son côté romantique, lui disant qu'elle le quittait pour un autre. Las il aurait pu essayer de retrouver le type pour lui casser la gueule et essayer de passer à autre chose, ou se laisser dépérir sur un canapé. Les alternatives auraient été nombreuses mais maintenant que lui reste-t-il ? Sans questions auxquelles répondre, difficile de trouver des réponses.
En fait, elle le laisse admirer sa miséricorde une dernière fois, "c'est pas elle, c'est lui". A elle le beau rôle. Alors même que c'était elle qui le quittait, c'était bien elle qui semblait se sacrifier. Lui, il était trop abattu pour réagir, il s'est juste contenter de dire "ok" en essayant de donner à ses deux lettres une tonalité suffisamment légère pour la faire pleurer, mais même pas. Alors il est parti, sans se retourner, en espérant que tous les fantômes de sa vie lui donne suffisamment de force pour tenir jusqu'à cette porte qui, une fois passée, le séparerait à jamais de cette fille qu'il a tant aimée. Il a tenu bon même s'il a un peu tressailli en entendant le battant claquer, conscient que c'était fini, pour de bon. Montant dans sa voiture, tournant les clés pour quitter tout ça et essayer d'avancer, un peu.

Il roule sans savoir où il va et ça n'a plus d'importance. Le feu passe au rouge. Il ne l'avait pas vu et il perd le contrôle définitivement. En face de lui, une jeune fille de 18 ans, le visage déformé par un cri, vous savez comme dans ce tableau de Munch. Elle conduit une Polo, pas toute neuve, offerte par ses parents pour ses dix-huit ans. Elle s'est sentie comme Cendrillon dans sa citrouille transformée en carrosse au moment de mettre le contact parce qu'elle savait que la nuit tombée ne serait plus synonyme de solitude, qu'elle n'était plus condamnée à ces longues rêveries dans l'attente du prince charmant. Elle savait que peut-être, en rentrant, elle ne serait plus seule au moment de tremper, dans le thé, ses langues de chats. Car elle n'aurait qu'un mot à dire, dans la nuit, et, pour lui servir d'acolyte, un garçon, qui sait…
Elle savait que dorénavant les bals et les fêtes seraient à portée de main, même si son père ne s'était pas forcément fait à cette idée. Elle avait dû batailler pour le convaincre de la laisser partir ce soir-là mais elle n'avait pas le choix. Sophie, sa meilleur amie, ne fêterait pas ses 18 ans une deuxième fois. Et puis, si elle avait la vie devant elle, elle brûlait de vivre l'instant présent et ça commençait maintenant, dans cette petite robe liberty sous laquelle elle ne portait pas de culotte, grisée par l'air frais qui lui effleurait l'entrejambe.

Une force irrésistible le projette vers l'avant alors qu'il entend à peine le crissement des pneus et que son visage désincarné s'échoue dans le pare-brise qui s'effrite sous le poids du choc. On dit toujours que dans ces moments-là, on voit toute sa vie défiler. Il a à peine 21 ans, du coup, c'est aller assez vite. Il l'a vue bien sûr, elle était très belle Anna, comme toujours, héroïne de ce court métrage qui a duré quelques secondes et qui n'était ni plus ni moins que sa vie.
Cette ultime lumière qui l'a aveuglé n'était pas le bout d'un tunnel mais celle du phare gauche de la Polo d'en face, qui s'est éteinte rapidement comme dans un soupir. Le sang qui affluait à travers les sillons du pare-brise brisé, avait quelque chose de beau et d'apocalyptique à la fois. Il s'est endormi sur cette image, pour de bon, amenant sans le vouloir avec lui, une jeune fille de 18 ans.  

C'était pas elle, c'était lui.

mercredi 31 août 2011

Las Vegas Libido


Je me réveille empêtré dans la sueur de draps blancs alors qu'une odeur de clope froide et d'alcool éventé plane sur cette chambre qui je le vois maintenant n'est pas la mienne. J'essaie de rassembler le fil de mes pensées tout en luttant avec un soleil qui darde à travers le store vénitien et dont l'intensité me brûle les yeux. En rassemblant le peu de forces qui me restent, j'esquisse un mouvement de côté et me retrouve nez à nez avec une masse de cheveux noirs qui émerge de ce qui ressemble à une forme humaine recroquevillée maladroitement dans un cocon de couvertures. Un bref coup d'œil lancé à ma montre, échouée dans un cendrier aux allures apocalyptiques, m'indique qu'il est 15 heures passées, que la soirée d'hier a été une fois de plus agitée et que ce sentiment de doute qui m'étreint à chaque réveil de ce genre est une fois de plus justifié.
Je dois dire que ces derniers temps,  les gueules de bois empoisonnées par l'idée de bouger ne serait-ce que d'un centimètre et submergées par un sentiment de honte abstrait sont légions. Si ma mémoire se noie souvent dans le brouillard alcoolisée de la nuit, ce désespoir glacial qui m'étreint chaque matin me rappelle à la réalité. Sans même comprendre pourquoi, je suis en proie à une grande lassitude, tenaillé par l'envie de sortir de toute cette merde, trop bilieux pour penser à quoi que ce soit d'autre. Les rares flashs de la soirée de la veille sont autant de coups de poignards dans mon estomac noué par cette sensation de n'avoir une fois de plus, rien contrôlé. Et pourtant, même à cet instant, je sais qu'inéluctablement, tôt ou tard, mes vieux me démons me rattraperont, au détour d'un verre entre potes ou du sourire aguicheur d'une fille, me replongeant à nouveau dans ce cercle infernal, dans ce cirque sans fin.
Mon cerveau est rebattu par le bruit de la clim' qui dans un bourdonnement sourd vient percuter le sommet de mon crâne, aussi délicat et à fleur de peau qu'un œuf sans sa coquille, susceptible de rompre à tout moment. Avec la prudence d'un nouveau-né, je ménage mon corps et réfléchis en silence, essayant vainement de me rappeler la nuit dernière même si les seules images qui me viennent à l'esprit sont trop sporadiques pour avoir un sens quelconque, comme les pièces d'un puzzle dont il me manquerait la plus grande partie.

18 heures
On a dévalé la Highway 95 à tombeaux ouverts, alternant entre les stations de radio que l'on captait l'espace de quelques secondes et essayant de desserrer un peu plus l'étreinte brûlante de la Death Valley, en proie à une chaleur qui ramollit autant les cerveaux que le macadam, à une voie. On a débarqué à Vegas et on a laissé le moteur éternuer dans un dernier souffle, comme un cheval qui cabre au bout d'une course de 300 miles à travers le paysage lunaire du Nevada, avant de filer les clés à un valet, mélangés entre l'excitation de pouvoir se la péter en fin et l'inquiétude de laisser le sort de notre caisse entre les mains d'un inconnu. On est dans la place, prêt à faire sauter la banque et les culottes des filles.

19 heures
On a déboulé sur le Strip là où viennent s'entrechoquer un air lourd lesté de poussières du fin fond du Nevada et la clim' qui balaye l'entrée des gigantesques casinos, le Paris, le Venetian, le New York... Le monde nous est à portée de main dans ce gigantesque parc d'attraction où tu peux être en train de taper un check avec Super Mario, dans la rue, avant d'être suspendu, quelques minutes plus tard, aux tours de pistes d'une boule de roulette. Les yeux rivés sur cette machine, captivés par cette seconde de suspension où la boule se décide à aller sur le rouge ou le noir, voire le vert quand elle joue les difficiles. On se raccroche à tout l'irrationnel possible, répétant les gestes ou les mimiques qui ont permis un gain, bannissant ceux qui nous ont conduits à notre perte. Sans succès.

20 heures
80 dollars de perdus plus tard, on se soûle au Jack Daniel's dans le confort standardisé de notre chambre du Mirage. L'engagement alcoolique au service des idées, comme un geste de protestation contre cette ville des vices où les cols bleus vont faire péter leur PEL, la pupille des yeux qui danse au rythme du "cling cling" des machines à sous, des machines par centaines dont le scintillement se confond avec celui d'un ciel étoilé de dollars si tu plisses les yeux suffisamment longtemps pour troubler ta vue. On joue un Black Jack aux règles hasardeuses mais qui a le mérite de justifier notre raison d'être, nous mettre une tête, chacun étant successivement la banque, le perdant buvant son shot de sky. On plonge sûrement mais tranquillement dans une ivresse délicieuse.

22 heures
On est dans une boîte et je ne me rappelle déjà plus comment on a atterri là même si j'ai l'impression que tout est sous contrôle. A peine ai-je encore en tête ce souffle chaud qui a balayé mon visage au moment de rejoindre la rue alors qu'on perçait le brouhaha de la foule. Le court trajet en bus est anodin et ne se résume déjà plus qu'à une canette de bière éclusée, pour éviter que la machine ne s'enraye.
Je vois une nana aux cheveux blonds et courts, tout en suspension, qui dandine sur un podium, ses jambes musclées tendues sur la barre alors qu'elle semble brandir ses aisselles comme un bras d'honneur à tous les mecs présents dans la salle. Un léger parfum d'œstrogène plane sur la salle alors qu'un un type nous accoste, Mike, dealer à mi-temps, qui nous propose de la weed à 15 dollars ou quelque chose de plus fort, si on veut. Il nous raconte qu'il taffe aussi pour le cirque du Soleil, revient d'un an en Thaïlande et nous invite à un rejoindre un groupe de white trash tous plus tatoués les uns que les autres. Le tout dans un débit et une prose à laquelle la coke ne doit pas être étrangère. Je ramasse une fille complètement pété qui s'éclate sur le sol et retourne picoler des XX Equis avec mon pote. On est bien.

23 heures
J'ai l'impression d'être de plus en plus étranger à ma propre enveloppe, comme si mon esprit flottait au-dessus de la salle et de mon corps, comme un spectateur privilégié de l'orgie qui s'annonce. Je la vois et je me vois approcher d'elle, très naturellement, alors que ses potes sont déjà sur la piste de danse. J'engage la discussion en égrenant les banalités d'occasion mais c'est à peine si j'écoute ce que je dis. Ces longs cheveux sombres, assez épais pour y enfouir votre tête, et ces grands yeux luxurieux, et ses lèvres si parfaitement dessinées et cette petite robe blanche bordée de tulle, à travers laquelle on peut deviner la voluptueuse présence de ses seins... Tout en elle m'empêche de réfléchir et si les mots sortent de ma bouche, mécaniques, leur sens m'échappe complètement car seule m'importe cette petite pression qu'elle exerce sur mon bras lorsqu'elle veut marquer son contentement ou insister sur un point. Une petite pression qui n'aurait pas un tel écho si elle n'était pas accompagnée de ce regard, ce radar vissé dans les yeux, comme si elle était captivée par mes propos. Une petite pression qui plonge droit dans mon cœur et fait se hérisser le moindre poil de mon corps et ce même si la discussion est rendue difficile par les quelques incompréhensions de la langue et la puissance de la bande son FM, dont les basses font trembler le sol et mes membres. A moins que ce ne soit encore ces pressions qu'elle exerce sur mes avant-bras.

Minuit
Ma vue commence à se brouiller, comme si je voyais toute la scène à travers un tableau impressionniste, les lumières des spots se noyant peu à peu dans l'obscurité d'un des recoins de la salle où je me retrouve maintenant, en tête à tête, avec cette fille dont je ne me rappelle déjà plus le nom ou le moindre détail d'ailleurs. Une foule de gens danse autour de nous mais c'est comme s'ils n'étaient déjà plus dans le tableau, trop accaparé que je suis, par le désir de la garder pour moi.
La soirée est loin d'être terminée mais elle me susurre quelques mots à l'oreille et me propose de terminer tout ça comme ça doit se terminer. Après tout, que sommes-nous venus chercher d'autre qu'un peu de réconfort dans les bras d'un autre ? Mon coeur et mon corps me disent d'obéir à ce raisonnement implacable. Si ma raison était encore présente, elle me suggèrerait peut-être de rentrer chez moi, de boire quelques litres d'eau en prévision de la gueule de bois qui s'annonce et d'arrêter les frais. Mais ça fait déjà quelques heures qu'elle s'est diluée dans le sky, me laissant sans défense. Alors je fais comme Cendrillon et je tente ma chance, en priant fermement pour que le carrosse ne se transforme pas en citrouille.
Pas la peine de vous raconter la suite vous l'imaginez déjà dans les grandes lignes. Et puis, comme on a déjà dû vous le dire des milliers de fois, dans un sourire coupable, ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas.

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Il faut croire que ce petit trip West Coast m'a rendu tout cheesy car ma bande son du moment est composée de quelques morceaux de The Weeknd, une sauce r'n'b relevée de quelques guitares. Il faut dire que le bougre a un univers plutôt séduisant, composé de mannequins et d'abus de drogues.
Qui a osé dire que j'étais superficiel ?



lundi 18 juillet 2011

Il y a du soleil et Alana


Il est des moments que l'on redoute autant qu'on les attend. Aux premiers rangs de ceux-là figure cet instant fatidique où l'on se désape pour la première fois de l'année en bord de mer, ce moment où tous les excès des derniers mois se cristallisent en une phrase : "Ah ouais tu t'es un peu laissé quand même non ?" On a beau être préparé à une telle éventualité, la remarque fait toujours aussi mal ; à tel point qu'on est fermement résolu, une fois la parenthèse estivale refermée, à renouer avec une vie d'ascète. Pourtant, ce genre de résolutions a ceci de spécial qu'elle ne dure que le temps de les prononcer. Les mois passent mais rien n'a été encore fait.

Me voilà donc, une année de plus, à trainer ma carcasse mal guindée sur les plages de Seignosse mais cette année je m'en fous. J'ai décidé de tout prendre avec le détachement d'un moine bouddhiste dans un strip club. Rien ne m'affecte. Et puis il faut dire que c'est quand même cool l'été, c'est le seul moment où tu peux lire les Vogue et Cosmo de tes potes filles sans aucun complexe. L'été, c'est ces bouteilles de bières que tu enfonces dans le sable, la peau rougie par le soleil, le maillot rempli de sel et de sable qui te colle à la peau alors que tu remontes péniblement une route goudronnée, l'asphalte chauffé par les rayons du soleil qui crisse sous ces tongs dont la lanière vient se frotter entre ton index et ton pouce endolori. Autant de petites désagréments que l'on aime bien endurer, notre coté maso sans doute.
L'été, c'est aussi pour moi cette grande machine à laver qu'est le spot de Seignosse, lorsque tu te jettes dans les vagues et que tu te fous de la gueule que tu auras en sortant du rouleau, déjà bien content d'en sortir vivant. C'est bien sûr les lunettes de soleil que tu rehausses à l'approche des jolies filles dont tu apprécies, en toute discrétion, les charmes estivaux.

On a rejoint une fête organisée par la marque Roxy pour célébrer la fin d'une compet' de filles. Inutile de préciser que tout ce que la ville compte de surfers et surfeuses, musicien et musiciennes, se soûle tranquillement au soleil. En attendant mon pote Christian parti en mission alcool, je tape des textos que je supprime aussitôt, le but n'étant pas tant d'envoyer des messages à quelqu'un en particulier que de m'occuper l'esprit ou, tout du moins, d'avoir l'air occupé. Je suis pas fan de ce genre de réunion où chacun s'efforce de butiner de groupe en groupe, une coupe de champagne à la main, les mecs essayant d'essaimer des idées coquines dans l'esprit et les jupes des filles, celles-ci s'efforçant de ne rien laisser paraître pour ne pas passer pour des proies faciles.
Il faut dire que mon manque d'assurance et mon taux d'alcoolémie généralement important font que j'ai toujours un peu de mal à sortir de ce lot de testostérone, au contraire de mon pote Christian qui, peu importe le lieu et les circonstances, se tient toujours à mes côtés, l'oeil vif, aiguisé sur la moindre fille potable et l'autre vigilant, pointé vers le bar. Alors qu'il me montre d'un signe de la tête, deux jeunes filles, deux pâquerettes qui ne demandent qu'à être cueillies, selon ses propres mots, mon attention est troublée par une fille placée à la droite de Dieu, un connard de DJ en Ray Ban qui gesticule dans tous les sens en passant du Creedence.

Le truc fou chez cette fille, c'est qu'elle est une attitude plus qu'un visage. Un peu comme cette fille dont on rêve toute une nuit durant et dont le souvenir nous glisse entre les doigts au réveil, si proche et si lointain à la fois. On a l'impression d'avoir partagé quelque chose d'unique avec elle sans être pour autant capable de mettre ne serait-ce qu'un visage sur cette silhouette. Ma surfeuse, car une fois mon regard posé sur ces fines épaules, elle était mienne, est tout à fait de ce genre. J'ai beau y mettre toute ma bonne volonté, mon esprit peine à dessiner un visage sur cette silhouette musclée comme il faut. A défaut de regard, de nez ou de sourire, tout ce qui m'apparait, c'est une casquette rose de skater qui vient coiffer de long cheveux décolorés par le sel de l'eau et un petit short en jean qui, lui, épouse merveilleusement les courbes de cette silhouette sportive. Définitivement, le genre de fille qui peut être à la fois ta copine et ta petite copine. Si seulement c'est encore possible de nos jours.

Toujours est-il que je nous aurais bien vu partir là, sur le moment, genre en stand up paddle, pour être raccord avec l'ambiance surfer du moment, alors que comme dans les films, une musique aurait accompagné notre fuite. Si on m'avait demandé mon avis, je pense que j'aurais opté pour « You and I » de Washed Out. Tout est dans le titre déjà... Et puis je voyais bien les coups de pagaies en synchro avec le beat de la chanson. Où on aurait été ? On s'en fout non ? C'est qu'un rêve après tout. Déjà qu'on se fait chier à s'imposer des barrières dans la vie réelle, on ne va pas non plus restreindre notre imagination. Je vous le dis, je suis le Martin Luther King de l'amour et mon rêve à moi, il est hier, aujourd'hui et demain. Sans limite.

Alors que, dans mon élan, je suis pas loin de couper la musique et d'haranguer la foule et avec elle, mon inconnue, Christian, qui a toujours un coup d'avance sur tout le monde, me gratifie d'une grande tape sur l'épaule et me demande si Alana Blanchard est à mon goût. Alors qu'il commence à me raconter les exploits de cette surfeuse américaine, le charme de l'inconnu déjà rompu, je la regarde une dernière fois, ferme les yeux et bois une ultime gorgée, en me disant qu'à tout prendre, mieux vaut rêver éveillé.

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Pour ceux qui veulent voir Alana Blanchard enchaîner les bottom turn et rollers (en petite tenue tant qu'à faire hein), c'est ici.  




mardi 12 juillet 2011

Pass this on


Elle porte une robe simple mais jolie, même si en fait ça n'a pas d'importance car le visage de Charlotte, pommettes apaches et sourire mutin, l'habille d'un rien.
On est à une soirée avec des gens que je ne connais pas ou très peu. Sans doute moins spirituel que spiritueux j'essaie désespérément d'attirer son attention en balançant à la cantonade quelques considérations qui se veulent caustiques mais qui ne semblent pas atteindre leur but. Faute de savoir comment occuper mes mains et mon esprit, je réapprovisionne tout le monde en bières, ce qui me donne l'occasion d'effleurer ses doigts fins, l'espace d'une seconde qui me parait être une minute. Quand il s'agit de jolies filles, tous les moyens sont bons pour approcher le Graal non ?

Un frisson parcourt l'assemblée alors qu'un type balance "Pass this on" de The Knife. Elle se déhanche lascivement au son du synthé en posant ses mains sur l'épaule d'un type qui n'a pas l'air de comprendre sa chance alors qu'une copine lui murmure à l'oreille des paroles qui doivent être amusantes si j'en crois le sourire franc qui se dessine sur son visage.
Changeant de stratégie, je me dis qu'il est temps de prétexter l'indifférence et de battre en retraite, quitte à rejoindre un groupe de types qui n'ont pas l'air de trop savoir ce qu'ils foutent là. Pas plus que moi d'ailleurs, qui ne comprend pas un traitre mot de leur discussion et qui dévore des yeux l'objet de la convoitise, divinement moulé dans ce bout de tissu, chignon relevé en arrière. Même si un rien l'habille, je me surprends à l'imaginer nue, ces hanches étroites, ces petits seins qui pointent juste ce qu'il faut, un corps de femme coincé dans celui d'une adolescente quoi. Ce qui m'amène à me demander le genre de fille qu'elle pouvait être à cet âge-là et à me dire que j'aurais bien aimé la rencontrer alors. Moi-même trop timide pour l'aborder, elle m'aurait peut-être invité au cours du quart d'heure américain d'une boum. On aurait dansé l'un contre l'autre alors que j'aurais eu du mal à réprimer un tremblement au moment de lui prendre la main, la rétine et les pupilles qui brillent d'émotion. J'aurais fait comme Tyler, the Creator dans je sais plus quelle chanson et me serais servi de son prénom comme mot de passe, juste pour pouvoir me rappeler tous les jours la chance que j'ai, alors que, faute de textos, on se serait écrit des lettres qui auraient inondé une boîte au lettre que l'on aurait ouverte avec toujours autant d'impatience.

Mais non, je suis là, planté sur ma chaise à me soûler la gueule comme un con, à me remémorer des évènements qui ne se sont même jamais passés. A refaire seul l'histoire comme un pilier de comptoir en mal de compagnie. A ne pas savoir comment aborder une nana qui a déjà dû refroidir des centaines de mecs comme moi et qui a peut-être fricoté avec une minorité d'entre eux, en leur abandonnant son cul à défaut de leur laisser son cœur.
Je me dis souvent que je me pose trop de questions et envie ces potes qui peuvent sans cesse repartir à l'assaut, nullement échaudés par leurs échecs répétés. Je vous assure, c'est même pas une question de fierté, disons juste que je pense que, si les histoires d'amour finissent mal en général comme dirait l'autre, de manière tout aussi générale, elles commencent rarement mal. J'ai peut-être tort de ne pas vouloir me battre mais je me bats pour croire que j'ai raison.

On arrive à la fin de la chanson et je me rends compte que tout le monde a rejoint la piste de danse, s'abandonnant au rythme langoureux de la musique alors que je dois fatalement avoir l'air con, seul sur ma chaise. Alors que je m'apprête à mettre fin à ce supplice, je sens une main qui m'effleure, le contact de ces doigts fins me semble familier. Comment l'oublier ? Au moment de partir, sans même un regard, elle me glisse dans la poche un papier qui me laisse avec plus de questions que de réponses. Même si je ne comprends pas la raison de ce geste, je me dis que son numéro me permettra peut-être d'écrire la suite de cette histoire.
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mercredi 6 juillet 2011

Ancora tù



Je bois à la bouteille, un chianti qui me suce plus l'esprit que je ne le tète et la chaleur assourdissante du mois d'août vient ajouter son grain de sel, contribuant à me faire perdre un peu plus la tête. Tout ça sans compter les filles qui rient un peu trop fort, les mecs qui les matent un peu trop alors que les vieux déjà exclus, dans leur coin, se reposent des excès de toute une vie, à l'ombre. Les gens appellent ça un déjeuner d'été, moi je pencherais plus pour le bal des anges et il est sur le point de commencer.
Alors que le rideau tombe enfin sur la journée, le soleil entame son dernier tour de piste laissant le champ libre à toute une jeunesse alcoolisée. Lucio Battisti et son "Ancora Tù" viennent fermer leur clapet aux grillons qui occupaient jusque-là le devant de la scène. Les têtes tournent et les robes des filles avec. C'est un peu toute la bourgeoisie de Moravia qui se soûle en ce dimanche d'été. Je ne sais plus vraiment comment j'ai atterri dans ce bled de Toscane et ne comprends que la moitié de ce que me disent les Riccardo, Fabrizio ou Luca mais je m'en fous, je ne veux pas rester sur la paille alors j'acquiesce à la moindre palabre.
Je sens que ce soir j'ai le groove d'un Battisti, le pantalon patte d'eph' et la tignasse en moins. Je suis comme un marin en perm' qui se dit qu'après avoir bravé les quatre mers, la gent féminine n'est pas un défi si insurmontable que ça. Je me sens la force d'accoster n'importe quelle fille de la foule mais je ne le fais pas, préférant attendre que les moins difficiles trouvent d'abord preneur. Alors, en attendant que s'exécute la sélection naturelle, j'observe les filles qui, dans un regard entendu, commencent à ôter leurs robes. Le color block est de retour, c'est pas moi qui le dit, ce sont leurs sous-vêtements colorés qui apparaissent, rouge, bleu, orange ou vert, toujours chatoyants. Les plus prévoyantes laissent apparaître un bikini alors que d'autres, pas en reste, sautent dans la piscine, dévêtues. Cosi fan tutte.

Je la vois qui discute avec une nana qui aurait été belle si elle n'avait pas été aussi consciente de son pouvoir d'attraction. Elle, en revanche, c'est tout le contraire. Elle respire un manque d'assurance qui en devient sexy. Elle tient nerveusement une flûte qu'elle fait valser au gré de ses gestes et porte un monokini dont le style suranné tranche un peu dans le paysage des tenues sophistiquées. Alors que nos regards se croisent et que je me dis que ce serait dommage de ne pas l'aborder, elle s'approche et m'apprend dans un français mâtiné d'un accent chantant qu'elle s'appelle Chiara.
J'observe les traits de son visage qui s'éclaire à la lumière du briquet que je lui tends et me rend compte qu'elle fume comme Liv Tyler dans le film de Bertolucci, "Beauté Volée", les mains jointes, dans un geste tout ce qu'il y a de plus religieux. En bon garçon à qui sa maman a appris à se taire dans ces moments là, je ne peux que me contenter de l'observer, dans un silence sacré.
Lorsqu'elle me dit dans un rire qu'on ne dévisage les filles de cette manière, je me dis que la vie n'est parfois pas si garce que ça alors je savoure ce sourire qui vaut mille mains tendues et lui pose des questions à laquelle elle n'a pas le temps de répondre. J'ai l'impression qu'elle commence à être un peu soûle car elle rit de plus en plus facilement à mes blagues. Attention, elle ne parait pas cruche pour autant, alors j'arrose son indolence avec un peu plus de vin. Elle pointe du doigt une brune, toute en formes, une sorte de Sabrina, vous savez oui, celle qui chante "Boys Boys Boys" dans la piscine et qui remise sans cesse son soutien-gorge. Elle n'est pas dupe, elle sait que, comme tous les mecs, mon regard est aimanté par cette poitrine opulente mais elle est gentille et feint de croire que je suis moi-même un garçon gentil. Alors je me surprends aussi à le penser et continue ce petit jeu de séduction, comme s'il n'était pas intéressé, seulement intéressant.

Le sort ne semble pourtant pas décidé à me laisser tranquille, lorsque l'hôte des lieux vient pour me présenter, moi le Français de la soirée, à ses invités. Bien que l'idée de me séparer d'elle quelques secondes me paraisse étrangement insupportable, je me trouve bien obligé de satisfaire mon hôte et lui dit de ne surtout pas bouger, lui promettant de réapparaître rapidemment. Elle me dit OK mais lorsque je reviens, elle a déjà disparu, dans un souffle, me laissant seul, le souffle coupé. Il est des secondes qui paraissent toute une vie. Le laps de temps qui m'a séparé de l'instant où je l'ai enfin retrouvée, seule et  assise, les pieds dans l'eau, m'a paru être un de ces moments.
J'ai la démarche malhabile mais l'esprit assuré, conscient qu'il ne tient qu'à moi de prendre les devants. Encore toi, me dit-elle. Mais je ne le lui laisse pas le temps de finir sa phrase et m'agrippe furieusement à sa taille comme un Italien à sa bouteille de grappa. Plus question de la perdre, plus question de te laisser partir, je m'enivre d'elle, je m'enivre de toi, Chiara. Ancora tù.


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C'est un peu le Julien Clerc transalpin, la classe italienne en plus, Lucio Battisti a pas mal rythmé mes dernières journées avec ce petit son groovy juste ce qu'il faut. On dit que c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe. Pas faux. Chaleur.