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jeudi 10 février 2011

Des cons et ma Bovary



Qu'est ce que je peux bien foutre planté là devant la porte de cet immeuble cossu du 16ème ? C'est la question que je me pose alors que je pianote fébrilement sur l'intercode. Sésame ouvre-toi.

Alors que je monte un escalier qui crépite sous mes pas comme ces pétards d'enfant que j'explosais les soirs de 14 juillet, je réalise que je ne suis pas seul. Une fille qui grimpe d'un pas bien plus léger que le mien me devance d'un étage. De sa silhouette, je ne devine pas grand-chose hormis sa chevelure rousse qui, sous les reflets de la lumière des appliques du couloir, épouse les couleurs mordorées de son col de fourrure.

Je la rejoins alors qu'elle sonne. A peine avons-nous le temps d'échanger un sourire gêné que la porte s'entrouvre pour laisse échapper un fracas assourdissant, mélange d'exclamations, de tintements de verres et de musique festive. Bienvenue en enfer.

Alors que mon inconnue ôte délicatement sa cape, je lui jette un regard à la dérobée pour vérifier que le côté pile est raccord avec le côté face. Elle a une frange et de longs cheveux relevés en chignon. Elle porte une robe blanche à pois noir, comme pour parfaire son look très rétro. Au-delà de son style vestimentaire, son seul charme suranné tranche avec le décorum ambiant, défilé de bobos, en mode petite chemise / jean slim / vans, le tout parfois agrémenté d'une fine moustache (LA tendance pilaire chez les mecs en 2011) ou d'une mèche "négligemment" rebattue toutes les 45 secondes. Le comble du chiquissime.

J'ai moi-même le sentiment de jurer un peu dans le décor. Une impression confirmée par mon hôte du jour, Jean-Baptiste, qui se moque gentiment de mon look jean et tee-shirt délavé. Le comble du cheapissime.
- Rooh, t'aurais pu faire un effort quand même. Sérieux c'est quoi ce tee-shirt !
- Désolé mec, je sors à peine du boulot, j'ai pas eu le temps de me changer.
Cet aveu a pour seul effet d'interloquer mon hôte qui ne sait pas si je blague ou pas. N'ayant manifestement pas envie de trancher, il me propose de nous diriger vers le bar. Je l'aime bien JB, il est en fait bien plus cool que son look branchouille ne pourrait le laisser présager. Bien loin de cette caste de mecs un peu superficiels qui fréquentent le Social et ces autres endroits à la mode, et que je retrouve aujourd'hui en nombre.

Il m'a envoyé cette invit' pour une fête d'anciens étudiants de ma fac il y a quelques jours de ça. J'ai un peu hésité avant de venir mais ai finalement dit oui, en me disant que rien ne m'obligeait non plus à rester longtemps si je n'étais pas à l'aise.
D'ailleurs si ça me fait plaisir de revoir certaines têtes, ça me tue toujours autant de voir quelques blaireaux que je ne pouvais déjà pas encadrer à l'époque. Mais pas de surprise ici non plus, la plupart ont fini exactement comme je l'avais imaginé. La baraque et la femme qui va avec, le premier bébé en route...
On se croirait comme dans une de ces publicités des années 50 qui faisait l'apologie de la vie de famille et de la société de consommation. Mis à part que ce grain d'image caractéristique des caméras de l'époque s'efface au profit d'une vision plus brumeuse provoquée par les volutes de fumées et les gouttes d'alcool qui virevoltent ça et là, à mesure que les verres s'entrechoquent.

Alors que le doux clapotis de la vodka que JB verse dans mon verre me parvient aux oreilles, j'aperçois ma rousse au teint laiteux, occupée à discuter avec un moustachu.

-Tu la connais la fille ?, je demande en esquissant un geste de la tête dans sa direction.
- Anna ? Me dit pas que tu te l'es tapée.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce qu'elle se tape tout le monde
- Tu déconnes ?
- Non et d'ailleurs ferme ta gueule, voila son mec !
- Mais t'as dit qu'elle se tapait tout le monde...
- Justement !

Le moustachu, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a délaissé sa douce Anna pour venir nous parler. JB en hôte poli me présente alors que moi qui le suit beaucoup moins, je prétexte avoir reconnu quelqu'un et m'absente.

A peine le premier verre de vodka éclusé, je tourne parmi les petits groupes de personnes qui se sont amoncelés ça et là, sans avoir envie de parler à aucun d'entre eux. Je regarde avec une concentration exagérée l'iPod qui distille le son de la soirée et suis sur le point de programmer le dernier morceau de Metronomy lorsque je sens une main se poser sur mon épaule.
Anna me gratifie à nouveau d'un sourire, sauf que cette fois, loin d'être gêné, il est enthousiaste. J'ai des papillons dans le cœur et l'impression d'avoir du métal en fusion dans les veines. Température corporelle qui avoisine les 40 degrés.

Elle entame la discussion par des questions classiques. Qui tu connais ? Tu fais quoi dans la vie ? Bien que j'ai tenu ce genre de discussion des centaines de fois, j'ai du mal à réfréné mes émotions. Alors qu'elle remarque que mon teint rosit à mesure que la discussion avance, je mets ça sur le compte d'une réaction à l'alcool.

Et puis une fois que les poncifs ont été évacués, chacun aborde sa jeunesse. On commence par la sienne.
- Beaucoup de bouquins, pas mal de mecs mais finalement pas tant de raisons de s'exalter. Le parcours plutôt lisse d'une jeune fille du 16eme, confesse-t-elle alors qu'elle vide son mojito d'un trait.
Elle me parle aussi de Pierre, le moustachu, qui bien qu'un peu ennuyant, la rassure. Elle me dit que parfois les filles plus que de vivre de grandes aventures, ont simplement besoin d'être rassurées, de rester dans leur zone de confort.
- Un peu comme ces princesses dans les livres qui préfèrent leur prison dorée aux contrées inexplorées qui les entourent. Mais bon, peut-être que moi aussi j'attends le prince charmant qui me sortira de là, ajoute-t-elle dans un rire cristallin.

C'est marrant, je me l'imagine un peu comme une Emma Bovary des temps modernes. Une nana qui a beaucoup lu durant sa jeunesse, voire trop. Marquée au fer rouge par ses lectures romantiques, elle se rend compte que sa vie sentimentale, loin de se conformer à ses rêves, ne lui apporte que frustrations et désillusions.
Loin de cadrer avec ses attentes un peu naïves de jeune fille en fleur, le mec avec qui elle sort aujourd'hui, tout aussi médiocre que les autres mecs avec qui elle le trompe, se révèle un substitut à peine acceptable à une vie qu'elle déteste. Elle trompe son ennui et son insatisfaction en couchant à droite à gauche mais aimerait au fond d'elle pouvoir se blottir contre le corps post-coït encore brûlant d'un amant qu'elle aime à en perdre la raison. La voila ma bovarienne. A défaut de fille facile je me rends compte qu'elle essaie désespérément de combler un vide, en s'offrant au premier venu. Et ça m'énerve un peu, voire beaucoup.
Attention, je n'ai pas la prétention de dire que je pensais que cette pièce manquante dans sa vie c'était moi, bien que sur le coup, enivré, je pense en avoir été persuadé. Et c'est d'ailleurs pourquoi je ne m'étonne pas tant que ça de lui avoir balancé toutes mes hypothèses à la gueule. Je me suis carrément emballé et je lui ai demandé si ce que JB m'avait dit était vrai et pourquoi elle faisait ça. C'est clair que c'était en partie l'alcool qui parlait à travers moi mais en même temps ça m'énervait de la voir se laisser aller comme ça, alors que moi je ramais comme un malade pour avancer, sans succès. Cette fille elle avait tout, je le voyais bien, tout le monde le voyait. Sauf elle. Elle s'enfermait dans cette posture alors que pour moi elle était bien plus que ça.

Elle se débine pas et me dit.
- Oui et alors, je profite de la vie. Qu'est ce que ça peut te foutre ? T'es jaloux ? Toi aussi t'as envie de tirer ton coup ? Tu veux qu'on aille dans la chambre d'à côté faire ça vite fait, bien fait ?

Silence. Je la regarde dans les yeux et décide sans autre mot qu'il est temps pour moi d'arrêter les frais. Je me casse. Alors que je sors de l'immeuble, le froid hivernal me cloue sur place, j'ai l'impression d'avoir pris un coup de poing dans l'estomac. J'ai du mal à respirer. Je m'allume une clope ne sachant pas quoi faire d'autre.

Et de nouveau je me demande :
-Non mais vraiment, qu'est ce que je peux bien foutre planter là devant cette porte d'immeuble ?

Alors je pars et je cours. Je cours comme un con faute de mieux et parce que j'en ai marre de pas réussir à avancer dans la vie. J'en ai marre de faire du surplace et mes jambes l'une après l'autre commencent à accélérer, dans une cadence qui pour moi devient salutaire.
Je fais de cette course effrénée jusqu'à l'arrêt de métro une question de vie ou de mort pour laquelle la vieille complètement ramassée que je dépasse et la poubelle éventrée que j'enjambe sont autant d'obstacles.
Le vent glacial qui me fouette le visage fait naître des larmes à la commissure de mes lèvres. Des larmes qui s'étirent comme la cire d'une bougie dont la flamme vacille. Sauf que moi j'ai tout sauf envie que cette flamme s'éteigne alors que mon effort athlétique ramène un peu de chaleur dans mon corps et dans mon cœur frigorifié.

A bout de souffle comme un Belmondo à la poursuite de Jean Seberg ou de je ne sais qui, je ne sais quoi, je descends l'escalier pour me jeter comme un désœuvré sur le quai.
8 minutes bordel, j'y crois pas. Le destin semble s'escrimer à me retenir prisonnier. Me voila comme un con, de nouveau prisonnier de mon immobilité.
Un bruit qui me semble familier me sort de ma torpeur : un claquement de talons sur le ciment dur du quai. Je tourne la tête. Je la voie.

- Pourquoi t'es parti de la soirée ?
- Et toi pourquoi tu m'as suivi ?
- Tu pensais ce que t'as dit tout à l'heure ?
- Pourquoi j'avais raison ?
- Ca changerait quelque chose tu pense ?
- T'en as pas marre de répondre à mes questions par d'autres questions ?

Elle pose son index pour m'indiquer de me taire puis esquisse un léger mouvement de tête en arrière. Contrairement à Bovary, à la fin de cette histoire ce n'est pas dans de l'arsenic qu'elle trempe ses lèvres mais dans les miennes, trop surprises par ce qui leur arrive.
A cet instant, je sais pas si pour elle je ne serai  qu'un parmi tant d'autres mais je m'en fous . Moi aussi j'avance enfin. Et c'est tant mieux.

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J'avoue que ma came du moment c'est "She wants" de Metronomy, le single de l'album "French Riviera" qui sortira le 11 avril. J'aime bien le rythme faussement nonchalant de la chanson, ponctué de tremolos toutes les 30 secondes, des "Boeings" lancinants.
D'ailleurs je trouve que le clip cadre bien avec le morceau, en témoigne les séquences en slow motion qui le parsèment, dans cette atmosphère un peu défraichie de fin de soirée.
Dans la séquence d'intro, le speaker de la radio balance "it's a hot and sticky night in the bay area, you'r listenning to French Riviera FM", je pense qu'au final, on a tous envie de s'abandonner dans la moiteur des draps de soie du lit, blotti contre cette brune langoureuse.