mardi 20 septembre 2011

Les grands garçons ne pleurent pas

Pffuuuuuuuuuuuuu

Je me suis affalé sur le lit, la tête tournée vers le plafond, bercé par les lumières des voitures qui passent au dehors et s'immiscent dans la chambre. Tout ça me rappelle les étoiles en plastiques que ma mère collait au plafond pour m'aider à surmonter mes angoisses noctambules, petit. J'avais à peine 8 ans mais déjà j'avais compris que le monde n'était qu'une vaste merde et que je ne serais jamais mieux que dans mon lit, blotti dans ma couette, à l'abri de cet au dehors qui ne nous ménage jamais. Même si je n'ai aujourd'hui plus peur du noir, je me dis que les choses n'ont pas vraiment changé.

Elle presse sa tête sur mon épaule et pique un de mes écouteurs alors que j'écoute "Big Boys don't cry", en tapotant de la main sur sa cuisse. Elle me demande à quoi je pense, et je réponds, rien. J'ai à peine le temps de tourner la tête vers elle qu'elle me repose la question. Je dis encore, rien. En fait, je pense juste que j'ai vraiment envie d'un verre de sky. En fait, je pense à notre soirée et au pourquoi du comment de ce fiasco général. Je pense à la première fois que je l'ai vue, la veille, emmitouflée dans son bonnet péruvien et son écharpe, le bout du nez rosie par le froid.

Elle était vraiment belle et ce même si elle riait beaucoup trop, à mon goût, aux blagues de ce connard à mèche, pull Ralph Lauren sur les épaules. Ca m'avait pas arrêté pour autant et j'avais quand même pu briser la glace de ses lunettes cerclées de noir. Un verre en entrainant un autre, c'était même moi qui avais réussi à l'entrainer dans ma piaule d'étudiant. Je mentirais en disant qu'aucun de nous deux n'était pas légèrement gêné au petit matin. Le sexe avait été OK. J'étais un peu trop bourré pour être l'amant prévenant qu'elle espérait sans doute mais avait mis suffisamment de volonté pour combler mes lacunes éthyliques. Du moins est-ce ce que son sourire matinal m'avait laissé imaginer.

On s'était séparés au beau milieu d'une étreinte parce que son portable avait sonné et qu'elle n'avait finalement pas le temps ou l'envie de faire plus. On s'était promis de se revoir, sans plus de conviction que ça, mais je m'étais surpris à repenser à elle, la porte à peine claquée. En temps normal, je n'ai qu'une envie, sortir me balader dehors, seul au milieu de la foule, le sourire au coin des lèvres, ce sourire que seul les initiés peuvent deviner, l'arrogance joyeuse de celui qui vient de tirer son coup poussée à son paroxysme.  Rien de tout ça cette fois ci, juste l'envie de la presser à nouveau dans mes bras alors je lui avais envoyé un texto en lui disant que je voulais la revoir le soir même et j'avais imaginé son amusement lorsqu'elle m'avait répondu qu'on avait une "discussion", les guillemets étaient d'elle, à reprendre. Qu'elle était d'accord.

J'avais fondé pas mal d'espoir dans ces retrouvailles mais avais vite déchanté. Je me suis rendu compte assez rapidement que tout ce qui m'avait séduit chez elle me faisait à présent horreur. La facilité qu'elle avait à se confier et qui m'avait paru si touchante, la veille, me paraissait insupportable. La manière qu'elle avait de replacer sa mèche derrière l'oreille, geste que je trouvais adorable, relevait à présent du tic superflu. C'est à peine si je pouvais la regarder dans les yeux, les dents à peine desserrées, l'écoutant me raconter sa journée. J'avais subitement compris que cette fille et moi n'avions rien en commun, rien à faire ensemble. Qu'y pouvais-je si elle ne l'avait pas compris.

Je lui ai à peine laissé le temps de finir son café et lui ai attrapé le bras, la poussant vers la sortie, prétextant une envie de nicotine pour masquer mon besoin d'air frais, insupporté par cette atmosphère trop oppressante. J'avais besoin de marcher pour comprendre ce qui n'allait pas et lui ai proposé de la raccompagner, geste qu'elle a forcément mal interprété, lorsqu'elle m'a invité à monter boire un verre. Je me suis senti obligé de dire oui. Un peu pour elle, surtout pour moi. Je n'avais pas enduré tout ça pour rien après tout.

Le sexe était OK. J'étais peut-être suffisamment sobre pour être l'amant prévenant qu'elle avait espéré mais n'avais plus l'enthousiasme nécessaire. Alors je me suis juste contenter  d'entrer dans ce vagin un peu enfantin, un vagin qui a très vite enserré mon sexe avec la fermeté d'un enfant qui s'agrippe à une main, de peur de perdre son équilibre. Ici c'était tout simplement l'envie de goûter au plaisir qui avait guidé cette étreinte marquée, une étreinte que j'ai pris soin de rompre dès que possible, en me dégageant brusquement, pour pouvoir retourner à mes réflexions égoïstes, rythmées par le mix d'Aeroplane. A ma décharge, en temps normal, je suis plutôt du genre à m'abandonner complètement à celle que j'aime, je me laisse jouir et rester en elle, avant de m'endormir. L'un dans l'autre, on peut somnoler en chien de fusil, mon sexe dans le sien. Rien de tout ça ici bien évidemment, j'avais juste envie de passer à autre chose et de lui signifier notre différence par cette barrière physique.

Elle me redemande à quoi je pense vraiment. Et je redis, rien. En fait, je me dis juste que les choses sont peut-être simplement moins belles à jeun. Alors, sans un mot, je sors finalement me servir ce putain de verre.

mercredi 14 septembre 2011

C'est pas elles, c'est nous



Il se sent comme Noé sous le déluge, sans son zoo. Juste un pauvre type qui conduit sous des trombes d'eau, seul. L'émule de Robert de Niro, dans Taxi Driver, qui prie pour une seul chose, que l'averse torrentielle balaye un bon coup tout ce que sa vie compte de merde. Il regarde dans le rétroviseur intérieur de sa caisse et n'aime pas ce qu'il voit. De la tristesse et de l'amertume, voilà. Il sent la voiture s'échapper un peu plus à chaque coup de volant... Et ses nerfs et son âme avec.  Il se sent comme le cavalier qui perd peu à peu sa tête et dont la course sans fin, plongé dans la noirceur de la nuit et de ses doutes, ne peut être interrompue que par une seule chose, cette chose qui commence par un m majuscule et qui vous enveloppe sous son lourd manteau.

Il ravale ces paroles qu'elle lui a balancées à la gueule comme un chiot qu'on jette à la flotte, pour en finir une bonne fois pour toute. Il se les répète inlassablement, changeant le rythme et la tonalité de sa voix comme pour mieux s'en imprégner. Ces paroles qui semblent s'attarder sur sa langue râpeuse avant de traverser sa gorge, comme un couteau qu'on prend plaisir à remuer dans une plaie. Il est envahi par le tumulte des excuses de cette fille qu'il a tant aimée et sur le point de se noyer sous le flot des "C'est pas toi, c'est moi." Cette excuse fadasse que l'on ressert aux nanas ou aux mecs avec qui l'on casse, pour lesquels on ne ressent absolument plus rien et qui, par conséquent, ne méritent rien de mieux que les clichés habituels. Il savait bien qu'il y avait forcément quelque chose qui expliquait cette décision brutale. Au moins méritait-il de l'entendre.
C'est peut-être ça qui l'attriste le plus au final, le peu de considérations et d'efforts qu'Anna a mis dans leur rupture. Si elle avait éprouvé un soupçon de sentiments à son égard, elle lui aurait peut-être même menti, nourrissant son côté romantique, lui disant qu'elle le quittait pour un autre. Las il aurait pu essayer de retrouver le type pour lui casser la gueule et essayer de passer à autre chose, ou se laisser dépérir sur un canapé. Les alternatives auraient été nombreuses mais maintenant que lui reste-t-il ? Sans questions auxquelles répondre, difficile de trouver des réponses.
En fait, elle le laisse admirer sa miséricorde une dernière fois, "c'est pas elle, c'est lui". A elle le beau rôle. Alors même que c'était elle qui le quittait, c'était bien elle qui semblait se sacrifier. Lui, il était trop abattu pour réagir, il s'est juste contenter de dire "ok" en essayant de donner à ses deux lettres une tonalité suffisamment légère pour la faire pleurer, mais même pas. Alors il est parti, sans se retourner, en espérant que tous les fantômes de sa vie lui donne suffisamment de force pour tenir jusqu'à cette porte qui, une fois passée, le séparerait à jamais de cette fille qu'il a tant aimée. Il a tenu bon même s'il a un peu tressailli en entendant le battant claquer, conscient que c'était fini, pour de bon. Montant dans sa voiture, tournant les clés pour quitter tout ça et essayer d'avancer, un peu.

Il roule sans savoir où il va et ça n'a plus d'importance. Le feu passe au rouge. Il ne l'avait pas vu et il perd le contrôle définitivement. En face de lui, une jeune fille de 18 ans, le visage déformé par un cri, vous savez comme dans ce tableau de Munch. Elle conduit une Polo, pas toute neuve, offerte par ses parents pour ses dix-huit ans. Elle s'est sentie comme Cendrillon dans sa citrouille transformée en carrosse au moment de mettre le contact parce qu'elle savait que la nuit tombée ne serait plus synonyme de solitude, qu'elle n'était plus condamnée à ces longues rêveries dans l'attente du prince charmant. Elle savait que peut-être, en rentrant, elle ne serait plus seule au moment de tremper, dans le thé, ses langues de chats. Car elle n'aurait qu'un mot à dire, dans la nuit, et, pour lui servir d'acolyte, un garçon, qui sait…
Elle savait que dorénavant les bals et les fêtes seraient à portée de main, même si son père ne s'était pas forcément fait à cette idée. Elle avait dû batailler pour le convaincre de la laisser partir ce soir-là mais elle n'avait pas le choix. Sophie, sa meilleur amie, ne fêterait pas ses 18 ans une deuxième fois. Et puis, si elle avait la vie devant elle, elle brûlait de vivre l'instant présent et ça commençait maintenant, dans cette petite robe liberty sous laquelle elle ne portait pas de culotte, grisée par l'air frais qui lui effleurait l'entrejambe.

Une force irrésistible le projette vers l'avant alors qu'il entend à peine le crissement des pneus et que son visage désincarné s'échoue dans le pare-brise qui s'effrite sous le poids du choc. On dit toujours que dans ces moments-là, on voit toute sa vie défiler. Il a à peine 21 ans, du coup, c'est aller assez vite. Il l'a vue bien sûr, elle était très belle Anna, comme toujours, héroïne de ce court métrage qui a duré quelques secondes et qui n'était ni plus ni moins que sa vie.
Cette ultime lumière qui l'a aveuglé n'était pas le bout d'un tunnel mais celle du phare gauche de la Polo d'en face, qui s'est éteinte rapidement comme dans un soupir. Le sang qui affluait à travers les sillons du pare-brise brisé, avait quelque chose de beau et d'apocalyptique à la fois. Il s'est endormi sur cette image, pour de bon, amenant sans le vouloir avec lui, une jeune fille de 18 ans.  

C'était pas elle, c'était lui.