vendredi 21 octobre 2011

Une teille de plus à la mer

A.M.
Les garçons gueulent et les filles gloussent. Les verres tintent et les murs tremblent. Elle fait la gueule et moi je râle et je lui demande pourquoi elle ne m'appelle jamais avant minuit, pourquoi elle me demande toujours de la rejoindre dans des endroits pas possibles, beaucoup trop bruyants et alcoolisés pour que l'on ait une discussion d'adulte. Elle hausse ses sourcils épais alors que ses cheveux noirs coulent sur son gilet blanc angora comme une bouteille d'encre dans l'écume de la mer. Elle soupire.

Je vous assure que c’est douloureux d’être amoureux d'une fille à s'en empoisonner les sens, sans trouver aucun remède ni échappatoire. C'est encore plus compliqué lorsque son cœur est déjà pris et qu'on n'a pas d'autre choix que de laisser le "i" d'aimer se noyer dans l'amer, pendu à un état de nausée permanente, tenaillé par l'envie de lui vomir nos sentiments à chaque fois qu'on la voit sourire à son mec, lui effleurer la main ou lui caresser la joue dans un sourire entendue. Dans ces moments, je pense à ce con de Sacha Guitry qui criait à qui voulait bien l'entendre, qu'à tout prendre il vaut mieux aimer qu'être aimé. Et venant d'un type qui a dû coucher avec le tout Paris d'après-guerre je pourrais trouver le commentaire amusant si ma misère sentimentale ne le rendait pas infiniment amer.

Et c'est encore le tracas qui me hante quand je la regarde dans les yeux alors que son silence me plombe, quoique puisse en penser celui qui m'a dit un jour que si la parole est d'argent, le silence est d'or. Son mec lui fait un signe et elle m'abandonne, une fois de plus, alors sans un mot je me dirige vers la fenêtre pour essayer de ressaisir ce qui peut l'être encore. Dehors, la lune éclabousse la cour intérieure et je sonde le ciel privé de toute étoile par la pollution parisienne. Seul l'écho d'une bouteille qui se fracasse dans la benne à ordure vient rompre un silence qui contraste avec le brouhaha qui s'annonce derrière moi. Un type vient me voir pour engager la discussion et fait les frais de ma mauvaise humeur, du moins jusqu'à ce qu'il me tende un joint dont les quelques bouffées me le rendent beaucoup plus sympathique. Au moins son herbe me permet-elle d'évacuer partiellement la rage sourde qui m'anime, une violence que je ne peux diriger vers personne d'autre que moi-même car après tout, elle, je l'aime. Et peu à peu, ses lèvres semblent remuer en silence et je n'entends plus ce qu'il dit, une bribe de mots mis à part. Du genre "c'est cool non ?" ou "donc là je vois ce type". Et je me contente d'acquiescer de la tête car à ce stade de la soirée les mots n'ont plus de sens ou d'importance. Le sourire de ce type fait écho au sien, oui c'est bien d'elle que je vous parle à nouveau, elle qui me balance son bonheur à la figure à chaque fois qu'elle approche son mec, au point que j'en ai les jambes qui tressaillent. D'ailleurs, je me rends compte qu'il est temps de les prendre à mon coup, conscient que je dois être le seul îlot de tristesse dans ce maelström de félicité, alors je dévale chaque marche qui m'éloigne d'elle avec l'enthousiasme d'un taulard qui part en permission et je me retrouve, seul, dans la rue.

Et même les arbres semblent soupirer, stimulés par le vent qui siffle entre les dernières feuilles de l'automne, et j'ai envie de courir comme un fou, porté par l'écho précipité de mes pas qui hurlent dans les rues désertes, sans jamais m'arrêter de peur que mon corps fonde en larmes. Mais déjà j'ai besoin de reprendre mon souffle dans l'un de ces rades ouverts toute la nuit durant et je balaye la salle du regard, passant des quelques piliers de comptoirs habituels à ces trois nanas passablement éméchées, avant de me poser sur le comptoir en zinc et commander un verre de sky. Le pli qu'il a au coin des lèvres donne au barman des airs de John Fante berbère et je me dis que c'est bon signe, d'ailleurs c'est clair qu'on se comprend car, sans un mot, il porte une bouteille au bar, en prévision des prochaines heures passées à éponger ma tristesse.

Et comme souvent, à coups de verres de whisky, je tabasse la déprime qui se niche sur mon épaule depuis ce jour où j'ai croisé son regard amande. Et comme toujours c'est Jack qui prend le dessus dans ce combat de boxe éthylique et chaque rasade est un uppercut qui me rend toujours plus groggy. Et je sais bien que, tôt ou tard, je finirai au tapis, lorsque l'hébétude aura éteint toute trace de vie dans mes yeux mais je ne peux m'en empêcher, tant il est plus facile de baisser les bras que de sonder les recoins cachottiers de son cœur recouvert de laine nacrée… Ou de partir dans une guérilla sentimentale, le couteau entre les dents et le cœur en bandoulière.

Et puis comme après toute fête passée avec elle, ou à défaut dans la même pièce qu'elle, vient ce moment où je me dis que plus tard, alors que la nuit se dilue dans le début de la journée et que les lève tôt côtoient enfin les couche tard, j’aimerais la ramener chez elle, juste pour lui tenir la main dans le métro, parce que rien ne me rendrait plus heureux que ce plaisir simple que les Beatles chantaient. Et je laisserais sa tête brune reposer sur mon épaule alors que je respirerais tranquillement les effluves parfumées de ses cheveux, soûl de bonheur. 

Mais au lieu de tout ça, ivre de whisky et de frustration, je sais déjà que je finirai allongé dans le lit de cette blonde qui ne me lâche pas des yeux depuis tout à l'heure. Et je sais aussi que je lui ferai l'amour de façon brutale et maladroite, me comportant comme le pire des connards, refusant de goûter à l'intimité de ses lèvres et oubliant son nom à la minute où je la quitterai… Juste parce qu'elle ne porte pas de gilet blanc angora.



mercredi 12 octobre 2011

Pour une poignée d'amour



Je suis allongé et je sais où je suis… Et c'est déjà un miracle. L'haleine chaude de la rue gonfle le rideau de la chambre et vient caresser langoureusement le bas de ma nuque. Il est 14 heures et le soleil qui déchire la pièce de manière presque aveuglante nous rappelle à la réalité alors que toute une vie s'affaire au dehors, depuis un moment. Je lui propose un verre mais elle me dit qu'une vraie femme peut boire au goulot alors je lui passe la bouteille de Jack et je vois sa gorge se nouer lorsque le liquide traverse sa glotte. Elle ne peut s'empêcher d'esquisser une légère grimace qu'elle réprime alors qu'elle gobe son cachet de Xanax. Elle me dit de ne pas m'inquiéter. J'allume un clope que je lui tends, une fois mon bras passée sous sa masse de cheveux bouclés à la couleur indéfinissable. J'attire ce visage aux yeux de chats vers ma poitrine dans un ronronnement de plaisir et je la regarde droit dans les yeux pour lui faire comprendre qu'aujourd'hui ce n'est qu'elle et moi.  L'avantage avec elle c'est qu'on ne s'embête pas à entamer des préambules interminables ou à ponctuer le sexe de paroles dénuées de tout sens, juste parce que les silences sont trop lourds. Non, on se fait plutôt les partisans d'un amour aussi minimaliste que la déco de cette chambre dont le seul meuble est la table basse en cerisier, d'un designer japonais coté à ce qu'elle m'a dit un jour, et qui sert à la fois de bar et de table de chevet. On trinque à ça, sans un mot et sans lever le coude.

Se dégageant de mon étreinte, elle se lève et se dirige vers l'enceinte située dans un coin. Elle pianote nerveusement sur son IPod et arrête son choix sur un morceau qu'elle écoute en boucle depuis qu'elle a vu le film de Nicolas Winding Refn, Drive. Elle commence à enchainer les poses lascives en minaudant sur "A real Hero" de College. Je me fends d'un sourire alors elle me pique mes lunettes et commence à me mimer, vêtue de ma seule chemise, baignée dans la lumière blanche de ce début de journée qui n'en est pas un. A une chemise à carreau près, on pourrait se croire dans un de ces shoots du journal de Terry Richardson où Terry et son modèle échangent leurs fringues. Elle a les pieds sales et les cheveux ébouriffés comme une Manon des sources qui auraient un peu trop trainé ses fripes sur les trottoirs parisiens  mais n'en est pas moins belle pour autant. C'est d'ailleurs ce qui l'a rend si terriblement excitante, le peu d'intérêt qu'elle porte à son apparence extérieure et puis, elle ne porte pas de culotte et me laisse admirer son pubis rasé de près. Un sexe de jeune fille qui me met l'espace de quelques instants mal à l'aise. Le temps de planter mon regard sur ces lèvres fermes que seules des années de pratique ont pu pétrir… Me voilà soulagé.

Elle glousse, se contorsionne et rabat ses cheveux vers son épaule gauche, son sourire s'évapore dans une moue badine. Elle danse autour de mon envie et mon sang ne fait qu'un tour, affluant massivement vers le bas de mon corps. Elle le remarque et en profite pour revenir à la charge, se faufilant à travers les draps, effleurant volontiers mon entrejambe avec son bassin. Je l'attrape fermement par des hanches pour lesquelles je perdrais mon âme si ce n'était déjà fait et je la plaque contre moi, essayant de presser mes lèvres contre les siennes, en vain. Il semblerait que son plaisir soit de résister au mien, comme pour me faire comprendre qu'ici, c'est elle qui décide. Docile, je bats en retraite et me console en me rappelant qu'on a fait l’amour toute la nuit. Une nuit irréelle tellement nos corps transpiraient l’évidence, à l'unisson d'une discussion qui n'avait pour langage que celui de nos gestes. Une nuit comme elle seule peut m'en offrir.

Je lui demande si cela ne la fatigue pas de jouer en permanence un rôle. Elle me répond qu'on s'épuise plus à aimer qu'à faire semblant d'aimer et puis, elle a passé l'âge de s'enthousiasmer pour un baiser à la dérobée ou un garçon rencontré dans un bar… Elle ne veut pas non plus s'attacher, elle préfère le charme de rencontres éphémères à la monotonie des relations longues durées où on fait l'amour (passé un certain stade on ne dit plus baiser) comme on remplit ses formulaires administratifs, de manière régulière mais trop épisodique, une fois par semaine, lorsque les enfants sont couchés ou que Masterchef vient de se terminer. Elle se contente d'offrir sa beauté méprisante à qui sait la récompenser à sa juste valeur. Elle n'est pas romantique, juste un physique prometteur qui traverse la nuit d'un jeune homme, d'un père de famille ou même d'un grand père, le temps d'une nuit, d'une étreinte, d'un souffle. Elle préfère disparaître au petit matin avant de ne pouvoir susciter que de l'indifférence, elle n'a pas le temps de s'encombrer de petits déjeuners partagés sur le lit et puis elle n'a pas envie d'entendre les "Qu'est-ce qu'on mange ?", "Les gosses sont couchés ?" ou autres "Dis-tu m'aimes ?". Elle ajoute qu'elle ne veut plus m'entendre tout court.

Ne sachant pas trop quoi répondre à tout ça, je me contente de fixer consciencieusement le plafond comme type qui sait s'asseoir sur un lit, sans un mot, en me demandant tout ce que cela cache.  Et puis elle me dit qu'il est temps d'y aller alors j'engloutis une dernière rasade de whisky, j'enfile mes fringues et je laisse 500 euros sur sa table basse. A la semaine prochaine.

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Oui je sais, vous en avez marre de tous vos potes qui postent Kavinsky, College ou Desire sur leur wall Facebook, depuis une semaine. On s'en fout non en fait ?


mercredi 5 octobre 2011

Femme Fatale



Je me rappelle encore la première fois que je l'ai aperçue. On venait à peine de reprendre les cours. Dans sa robe blanche à pois bleus et à col claudine, Elisa avait un petit air de Catherine Deneuve époque Demoiselles de Rochefort, une mèche blonde en permanence collée à son front, sous l'effet de la transpiration et de ses courses effrénées. Déjà à l'époque, elle préférait la compagnie de garçons qu'elle laissait rarement indifférents d'ailleurs. Et déjà elle avait ce regard doux mais sûr d'elle, un regard qui inspirait un mélange de crainte et d'admiration, un regard qui me faisait inexorablement baisser la tête et bafouiller des excuses confuses, quoique j'aie pu faire.
Je ne comptais plus les cours passés ensemble ou les fois où je me retournais vers elle, pas très discrètement il faut bien l'avouer, juste pour m'assurer de sa présence, comme si elle menaçait de disparaître à tout moment. Les heures où je ne la voyais pas n'étaient pas un problème car je les passais à l'imaginer avec moi. Dans ma chambre, sautant d'un rêve à l'autre, je me voyais la sauver d'un loubard qui l'aurait attaquée au détour d'une ruelle sombre avant de lui prendre la main et de monter dans le premier train ou bateau venu pour quitter ce monde trop adulte, trop oppressant. Dans les moments les plus pénibles de mon existence, je n'avais qu'à visualiser ce sourire innocent pour pouvoir avancer encore quelques kilomètres et surmonter les barrières les plus grandes. Avec elle à mes côtés, je sentais que rien ne m'était impossible… A part peut-être lui parler.

A mes potes qui me disaient "laisse tomber les filles", comme les émules de France Gall qu'ils étaient alors, je ne pouvais opposer que le silence du mec incompris. A ma mère qui essayait de comprendre l'origine de mon chagrin, je répondais par un haussement de sourcil typique de celui qui veut couper le cordon ombilical qui l'emprisonne depuis trop longtemps. Faute d'alternative ou d'aîné vers qui me tourner, j'avais pris conseil auprès du dernier interlocuteur de la maison, mon père, qui, manifestement peu satisfait que je le tire de sa sieste, avait émis dans un grognement que j'étais vraiment con de me poser tant de questions, qu'il suffisait que je tente ma chance comme il l'avait fait lui-même avec ma mère.  Même si je trouvais l'argumentation un peu légère, conscient que la psychologie n'avait jamais été son fort, je m'étais tout de même résolu à aborder Elisa le lendemain même. Si je ne le faisais pas pour moi, au moins devais-je le faire pour mon père et ne pas être le con de l'histoire.

Le pas chancelant, je m'étais approché d'elle alors qu'elle s'était plantée seule, sur un banc. Comme d'habitude, elle avait le visage humide mais ce n'était cette fois pas la transpiration qui en était la raison sinon les larmes qui s'étiolaient de ses beaux yeux vert clair et perlaient avec constance le long de sa joue. Je savais que seul un garçon pouvait être la cause d'un tel désarroi et me doutait aussi que ça ne pouvait pas être moi. Je me rappelle avoir eu un moment de recul mais, porté par les mots de mon père qui résonnaient une dernière fois dans mon crâne, j'avais quand même trouvé la force de sortir un mouchoir de ma poche et de le lui tendre. Un geste inconsidéré que j'ai regretté sitôt mes yeux poignardés par ce regard d'autant plus fier que la situation était triste. Sans un mot pour moi, elle s'est levée, essuyant ses larmes avec le revers de sa robe et s'éloignant de manière très théâtrale, vous savez comme dans ces films où la fille quitte un héros dépité, les images tournent en slow motion et une petite musique lancinante vous fait prendre la mesure du désarroi du type. A ce moment-là, c'était le Femme Fatale du Velvet qui ronronnait dans ma tête.

J'avais 8 ans et je venais de me rendre compte qu'il vaut parfois peut-être mieux se sentir con que terriblement triste.

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Une pensée pour Nico, une fille qui, même ravagée, réussissait à garder un charme innocent, des pupilles littéralement bouffées par l'héro et un regard effrayant dans lequel on aimait se noyer alors qu'elle minaudait, un peu mystique, énormément défoncée, les paroles écrites par Lou Reed. Et puis, elle nous a quand même donné un des plus beaux album du Velvet (avec le Whight Light, White Heat faut pas déconner). Une femme fatale quoi.