jeudi 16 juin 2011

Le soleil ne viendra plus


20 heures, je sors enfin de chez moi, persuadé que le soleil ne viendra plus mais que je la trouverai enfin. Premiers pas dehors depuis une éternité… Le jour semble avoir pris un somnifère, les voitures ont disparues et moi je dors debout. L'impression de voir les gens déambuler au ralenti et d'être plongé dans un silence abyssal. Comme dans un film d'Eric Rohmer quoi.

Dans cette palette urbaine, seules les couleurs semblent avoir suffisamment de vigueur pour me tirer de ma torpeur et le reflet jaune des phares d'une voiture en approche me rappelle que je ne suis pas seul sur la route. Sans un regard pour le conducteur qui m'insulte allègrement et à raison, je défie le petit bonhomme rouge qui me fait face alors que mon majeur se dresse aussi promptement que les eaux de la mer Rouge au passage de Moïse. Mon allure est plus éthylique que prophétique mais je m'en fous et je plonge dans la bouche de métro de Gambetta, l'air serein.

Elle m'a donné rendez-vous dans un troquet du coin et je me dis qu'elle ne viendra peut-être plus alors pour éviter d'y penser, je trompe mon ennui et je trempe mon angoisse dans un whisky que je sirote nerveusement. J'en suis au point de sucer le glaçon imbibé des dernières gouttes de malte lorsque je la vois enfin qui perce un groupe de badauds et entre dans le bar d'un pas décidé. Elle demande un verre de blanc et s'assoit sans prendre le temps d'enlever son manteau. Je me dis que c'est mauvais signe.
Evitant les politesses d'usage, je serre nerveusement une main qu'elle dégage aussitôt et plante mes yeux dans les siens, prêt à tout pour la reconquérir, qu'il faille m'abaisser ou me battre jusqu'à la blesser.

- C'est peut-être trop tard mais je me rends compte que ton absence me plonge dans un désarroi terrible. Sans toi j'ai l'impression d'être un pauvre type condamné à errer dans le désert sans une goutte d'eau.
- Je te rappelle que quand tu es parti tu m'as dit que j'étais chiante comme la pluie…
- J'ai changé d'avis. En fait j'aime bien la pluie, c'est grâce à elle que l'herbe est plus verte, d'ailleurs. Et puis il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis, non ?
- Toi qui me répétais que ton tort était de m'aimer comme un idiot…
- Non, je disais que je t'aimais comme un fou
- Et maintenant, tu te fous de moi ?
- Non, je suis fou de toi et je m'en fous de tout, reprends-moi !
- C'est à mon tour de vouloir savoir si l'herbe est pas plus verte ailleurs. Excuse-moi.
- Je comprends.
- Non, excuse-moi, on m'appelle.

Elle tourne la tête vers un type qui l'attend dans la rue et lui adresse un sourire entendu, le genre de sourire qui t'entraine jusqu'au bout de lui nuit ou du jour, c'est selon. En tout cas pas le genre de sourire qu'elle m'a jamais adressé. Sans un mot, elle se lève comme si de rien n'était, comme si on n'avait jamais rien vécu, comme si j'étais un de ces potes à qui tu dis à la prochaine et à qui tu ne penses déjà plus, une fois le lieu de rencontre quitté.
Dehors, la vie semble avoir repris son cour alors que je la vois disparaitre derrière les premières gouttes de pluie qui viennent s'échouer contre la vitrine vieillotte du bar. Et moi, je reste à l'abri mais je me sens désespérément seul. Seul et con. C'est peut-être pas si cool que ça la pluie tout compte fait.

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Starring Raina Hein, éphémère figure de la téléréalité américaine et plus qu'un visage, une bouche. Une fille qui quitte ses draps en soie et est prête à se trainer dans des marécages pour te rejoindre, tu fais en sorte de pas la perdre. Bon Iver rules.

jeudi 9 juin 2011

Wu Lyf / Odd Future : evil can't wait


Les magazines musicaux toujours prompts à se palucher sur le moindre groupe un tant soit peu sorti des sentiers battus ont pu s'en donner à cœur joie ces derniers jour. Chez le crew d'Odd Future et celui de Wu Lyf, deux stratégies de communication opposées, la communication à outrance des premiers et le silence sépulcral des seconds, mais un même objectif, foutre un bon coup de tatane dans la fourmilière des groupes qui végètent dans les limbes du milieu underground.
Satan comme attaché de presse
Leurs styles musicaux ont beau être radicalement différents, les deux crews partagent un même goût de l'esthétique minimaliste au service du sinistre. Un programme qui semble plus tenir du buzz savamment orchestré que du culte satanique, la carte du mystère nourrissant fatalement les fantasmes les plus fous, mais qui prouve en tout cas que les types savent comment s'y prendre pour retenir l'attention.
A ma gauche donc, les rockers de Wu Lyf pour "World Unite Lucifer Youth Foundation" revisitent le post-punk à la sauce macabre et à ma droite, Odd Future pour "Odd Future Wolf Gang Kill them All" (OFWGKTA), avec à leur tête l'exubérant Tyler, The Creator, crachent leur dégoût dans des clips ultra-sordides.
L'ennui comme principale influence
Les plus grandes carrières musicales ont souvent été nourries par l'envie de rompre avec un quotidien difficile ou d'autres revendications du style prendre une revanche sur la vie. On pense à Pete Townshend qui affirmait avoir fait tout ce qu'il avait fait à cause de ce putain de tarin planté au milieu de sa figure. On pense aussi à Cherrie Curie qui voulait à tout prix devenir une star, grâce au chant ou au cinéma, quitte à se diluer dans sa propre caricature.
Rien de tout ça chez Wu Lyf ou Odd Future. On a presque l'impression que toute cette hype leur est tombée dessus par hasard. C'est presque comme s'ils n'avaient pas pu faire autrement, si l'on en croit les propos du frontman de Wu Lyf. "La plus grande influence sur notre album c’est l’ennui. Si la ville avait été remplie de choses cool à faire peut être qu’onn’aurait pas passé tout notre temps libre dans une cave à faire de la musique." Une position que ne renierait sans doute pas le crew d'Odd Future qui trompait l'ennui d'une banlieue white trash de LA dans la weed, le skate et la musique donc. L'ennui comme moteur créatif, c'est le personnage de Moravia qui se retourne dans son atelier de peinture.
Le jour et la nuit
On a souvent cru au retour du Madchester des années 80, chaque groupe mancunien ayant fait la couverture de la NME ces dernières années était alors présenté comme la réincarnation des Joy Division ou The Fall. Ici, la solennité des mélodies de Wu Lyf confine plus aux compositions des Stone Roses. Une fois le brouillard du buzz mancunien estompé apparait le spectre échevelé de morceaux enregistrés dans les conditions du live, qui sonnent comme eux, indisciplinés et surtout pas chiadés, des guitares mélodiques noyées dans une cascade de bruits et sur lesquelles se superpose la voix éraillée d'un jeune type qui ne doit pas peser plus cinquante kilos tout mouillé.
Alors que les Mancuniens ont dû extraire leurs carcasses guindées de la grisaille, les membres d’Odd Future ont, eux, vu le jour dans l'atmosphère étouffante de LA. Le jour et la nuit donc. Ils tiennent plus du versant désœuvré de l'hyperactif privé de Ritalin qu'on retrouve dans les bouquins d'Easton Ellis. On tient là des ados qui capturent parfaitement l’aspect désabusé d'une génération biberonné à l'Internet (moyen qu'ils utilisent massivement pour communiquer), là où celle d'Ellis était gavée par MTV. La meilleure illustration en étant le compte twitter de Tyler, The Creator qui repousse toujours plus les limites de l'absurde.

Quoiqu'il en soit, même si les moyens employés diffèrent parfois, la finalité semble la même. Aussi bien dans leurs différences que dans leurs similitudes, ces deux crews mettent finalement un doigt d'honneur à décaniller l'ordre établi. Quoi de plus plus louable ? Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions dit-on. Sans même leur souhaiter de ne pas brûler en enfer, gageons juste qu'ils n'explosent pas en plein vol.

Tyler, The Creator : Yonkers


Wu Lyf : Split it concrete like the colden sun god