mercredi 31 août 2011

Las Vegas Libido


Je me réveille empêtré dans la sueur de draps blancs alors qu'une odeur de clope froide et d'alcool éventé plane sur cette chambre qui je le vois maintenant n'est pas la mienne. J'essaie de rassembler le fil de mes pensées tout en luttant avec un soleil qui darde à travers le store vénitien et dont l'intensité me brûle les yeux. En rassemblant le peu de forces qui me restent, j'esquisse un mouvement de côté et me retrouve nez à nez avec une masse de cheveux noirs qui émerge de ce qui ressemble à une forme humaine recroquevillée maladroitement dans un cocon de couvertures. Un bref coup d'œil lancé à ma montre, échouée dans un cendrier aux allures apocalyptiques, m'indique qu'il est 15 heures passées, que la soirée d'hier a été une fois de plus agitée et que ce sentiment de doute qui m'étreint à chaque réveil de ce genre est une fois de plus justifié.
Je dois dire que ces derniers temps,  les gueules de bois empoisonnées par l'idée de bouger ne serait-ce que d'un centimètre et submergées par un sentiment de honte abstrait sont légions. Si ma mémoire se noie souvent dans le brouillard alcoolisée de la nuit, ce désespoir glacial qui m'étreint chaque matin me rappelle à la réalité. Sans même comprendre pourquoi, je suis en proie à une grande lassitude, tenaillé par l'envie de sortir de toute cette merde, trop bilieux pour penser à quoi que ce soit d'autre. Les rares flashs de la soirée de la veille sont autant de coups de poignards dans mon estomac noué par cette sensation de n'avoir une fois de plus, rien contrôlé. Et pourtant, même à cet instant, je sais qu'inéluctablement, tôt ou tard, mes vieux me démons me rattraperont, au détour d'un verre entre potes ou du sourire aguicheur d'une fille, me replongeant à nouveau dans ce cercle infernal, dans ce cirque sans fin.
Mon cerveau est rebattu par le bruit de la clim' qui dans un bourdonnement sourd vient percuter le sommet de mon crâne, aussi délicat et à fleur de peau qu'un œuf sans sa coquille, susceptible de rompre à tout moment. Avec la prudence d'un nouveau-né, je ménage mon corps et réfléchis en silence, essayant vainement de me rappeler la nuit dernière même si les seules images qui me viennent à l'esprit sont trop sporadiques pour avoir un sens quelconque, comme les pièces d'un puzzle dont il me manquerait la plus grande partie.

18 heures
On a dévalé la Highway 95 à tombeaux ouverts, alternant entre les stations de radio que l'on captait l'espace de quelques secondes et essayant de desserrer un peu plus l'étreinte brûlante de la Death Valley, en proie à une chaleur qui ramollit autant les cerveaux que le macadam, à une voie. On a débarqué à Vegas et on a laissé le moteur éternuer dans un dernier souffle, comme un cheval qui cabre au bout d'une course de 300 miles à travers le paysage lunaire du Nevada, avant de filer les clés à un valet, mélangés entre l'excitation de pouvoir se la péter en fin et l'inquiétude de laisser le sort de notre caisse entre les mains d'un inconnu. On est dans la place, prêt à faire sauter la banque et les culottes des filles.

19 heures
On a déboulé sur le Strip là où viennent s'entrechoquer un air lourd lesté de poussières du fin fond du Nevada et la clim' qui balaye l'entrée des gigantesques casinos, le Paris, le Venetian, le New York... Le monde nous est à portée de main dans ce gigantesque parc d'attraction où tu peux être en train de taper un check avec Super Mario, dans la rue, avant d'être suspendu, quelques minutes plus tard, aux tours de pistes d'une boule de roulette. Les yeux rivés sur cette machine, captivés par cette seconde de suspension où la boule se décide à aller sur le rouge ou le noir, voire le vert quand elle joue les difficiles. On se raccroche à tout l'irrationnel possible, répétant les gestes ou les mimiques qui ont permis un gain, bannissant ceux qui nous ont conduits à notre perte. Sans succès.

20 heures
80 dollars de perdus plus tard, on se soûle au Jack Daniel's dans le confort standardisé de notre chambre du Mirage. L'engagement alcoolique au service des idées, comme un geste de protestation contre cette ville des vices où les cols bleus vont faire péter leur PEL, la pupille des yeux qui danse au rythme du "cling cling" des machines à sous, des machines par centaines dont le scintillement se confond avec celui d'un ciel étoilé de dollars si tu plisses les yeux suffisamment longtemps pour troubler ta vue. On joue un Black Jack aux règles hasardeuses mais qui a le mérite de justifier notre raison d'être, nous mettre une tête, chacun étant successivement la banque, le perdant buvant son shot de sky. On plonge sûrement mais tranquillement dans une ivresse délicieuse.

22 heures
On est dans une boîte et je ne me rappelle déjà plus comment on a atterri là même si j'ai l'impression que tout est sous contrôle. A peine ai-je encore en tête ce souffle chaud qui a balayé mon visage au moment de rejoindre la rue alors qu'on perçait le brouhaha de la foule. Le court trajet en bus est anodin et ne se résume déjà plus qu'à une canette de bière éclusée, pour éviter que la machine ne s'enraye.
Je vois une nana aux cheveux blonds et courts, tout en suspension, qui dandine sur un podium, ses jambes musclées tendues sur la barre alors qu'elle semble brandir ses aisselles comme un bras d'honneur à tous les mecs présents dans la salle. Un léger parfum d'œstrogène plane sur la salle alors qu'un un type nous accoste, Mike, dealer à mi-temps, qui nous propose de la weed à 15 dollars ou quelque chose de plus fort, si on veut. Il nous raconte qu'il taffe aussi pour le cirque du Soleil, revient d'un an en Thaïlande et nous invite à un rejoindre un groupe de white trash tous plus tatoués les uns que les autres. Le tout dans un débit et une prose à laquelle la coke ne doit pas être étrangère. Je ramasse une fille complètement pété qui s'éclate sur le sol et retourne picoler des XX Equis avec mon pote. On est bien.

23 heures
J'ai l'impression d'être de plus en plus étranger à ma propre enveloppe, comme si mon esprit flottait au-dessus de la salle et de mon corps, comme un spectateur privilégié de l'orgie qui s'annonce. Je la vois et je me vois approcher d'elle, très naturellement, alors que ses potes sont déjà sur la piste de danse. J'engage la discussion en égrenant les banalités d'occasion mais c'est à peine si j'écoute ce que je dis. Ces longs cheveux sombres, assez épais pour y enfouir votre tête, et ces grands yeux luxurieux, et ses lèvres si parfaitement dessinées et cette petite robe blanche bordée de tulle, à travers laquelle on peut deviner la voluptueuse présence de ses seins... Tout en elle m'empêche de réfléchir et si les mots sortent de ma bouche, mécaniques, leur sens m'échappe complètement car seule m'importe cette petite pression qu'elle exerce sur mon bras lorsqu'elle veut marquer son contentement ou insister sur un point. Une petite pression qui n'aurait pas un tel écho si elle n'était pas accompagnée de ce regard, ce radar vissé dans les yeux, comme si elle était captivée par mes propos. Une petite pression qui plonge droit dans mon cœur et fait se hérisser le moindre poil de mon corps et ce même si la discussion est rendue difficile par les quelques incompréhensions de la langue et la puissance de la bande son FM, dont les basses font trembler le sol et mes membres. A moins que ce ne soit encore ces pressions qu'elle exerce sur mes avant-bras.

Minuit
Ma vue commence à se brouiller, comme si je voyais toute la scène à travers un tableau impressionniste, les lumières des spots se noyant peu à peu dans l'obscurité d'un des recoins de la salle où je me retrouve maintenant, en tête à tête, avec cette fille dont je ne me rappelle déjà plus le nom ou le moindre détail d'ailleurs. Une foule de gens danse autour de nous mais c'est comme s'ils n'étaient déjà plus dans le tableau, trop accaparé que je suis, par le désir de la garder pour moi.
La soirée est loin d'être terminée mais elle me susurre quelques mots à l'oreille et me propose de terminer tout ça comme ça doit se terminer. Après tout, que sommes-nous venus chercher d'autre qu'un peu de réconfort dans les bras d'un autre ? Mon coeur et mon corps me disent d'obéir à ce raisonnement implacable. Si ma raison était encore présente, elle me suggèrerait peut-être de rentrer chez moi, de boire quelques litres d'eau en prévision de la gueule de bois qui s'annonce et d'arrêter les frais. Mais ça fait déjà quelques heures qu'elle s'est diluée dans le sky, me laissant sans défense. Alors je fais comme Cendrillon et je tente ma chance, en priant fermement pour que le carrosse ne se transforme pas en citrouille.
Pas la peine de vous raconter la suite vous l'imaginez déjà dans les grandes lignes. Et puis, comme on a déjà dû vous le dire des milliers de fois, dans un sourire coupable, ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas.

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Il faut croire que ce petit trip West Coast m'a rendu tout cheesy car ma bande son du moment est composée de quelques morceaux de The Weeknd, une sauce r'n'b relevée de quelques guitares. Il faut dire que le bougre a un univers plutôt séduisant, composé de mannequins et d'abus de drogues.
Qui a osé dire que j'étais superficiel ?