mercredi 6 juillet 2011

Ancora tù



Je bois à la bouteille, un chianti qui me suce plus l'esprit que je ne le tète et la chaleur assourdissante du mois d'août vient ajouter son grain de sel, contribuant à me faire perdre un peu plus la tête. Tout ça sans compter les filles qui rient un peu trop fort, les mecs qui les matent un peu trop alors que les vieux déjà exclus, dans leur coin, se reposent des excès de toute une vie, à l'ombre. Les gens appellent ça un déjeuner d'été, moi je pencherais plus pour le bal des anges et il est sur le point de commencer.
Alors que le rideau tombe enfin sur la journée, le soleil entame son dernier tour de piste laissant le champ libre à toute une jeunesse alcoolisée. Lucio Battisti et son "Ancora Tù" viennent fermer leur clapet aux grillons qui occupaient jusque-là le devant de la scène. Les têtes tournent et les robes des filles avec. C'est un peu toute la bourgeoisie de Moravia qui se soûle en ce dimanche d'été. Je ne sais plus vraiment comment j'ai atterri dans ce bled de Toscane et ne comprends que la moitié de ce que me disent les Riccardo, Fabrizio ou Luca mais je m'en fous, je ne veux pas rester sur la paille alors j'acquiesce à la moindre palabre.
Je sens que ce soir j'ai le groove d'un Battisti, le pantalon patte d'eph' et la tignasse en moins. Je suis comme un marin en perm' qui se dit qu'après avoir bravé les quatre mers, la gent féminine n'est pas un défi si insurmontable que ça. Je me sens la force d'accoster n'importe quelle fille de la foule mais je ne le fais pas, préférant attendre que les moins difficiles trouvent d'abord preneur. Alors, en attendant que s'exécute la sélection naturelle, j'observe les filles qui, dans un regard entendu, commencent à ôter leurs robes. Le color block est de retour, c'est pas moi qui le dit, ce sont leurs sous-vêtements colorés qui apparaissent, rouge, bleu, orange ou vert, toujours chatoyants. Les plus prévoyantes laissent apparaître un bikini alors que d'autres, pas en reste, sautent dans la piscine, dévêtues. Cosi fan tutte.

Je la vois qui discute avec une nana qui aurait été belle si elle n'avait pas été aussi consciente de son pouvoir d'attraction. Elle, en revanche, c'est tout le contraire. Elle respire un manque d'assurance qui en devient sexy. Elle tient nerveusement une flûte qu'elle fait valser au gré de ses gestes et porte un monokini dont le style suranné tranche un peu dans le paysage des tenues sophistiquées. Alors que nos regards se croisent et que je me dis que ce serait dommage de ne pas l'aborder, elle s'approche et m'apprend dans un français mâtiné d'un accent chantant qu'elle s'appelle Chiara.
J'observe les traits de son visage qui s'éclaire à la lumière du briquet que je lui tends et me rend compte qu'elle fume comme Liv Tyler dans le film de Bertolucci, "Beauté Volée", les mains jointes, dans un geste tout ce qu'il y a de plus religieux. En bon garçon à qui sa maman a appris à se taire dans ces moments là, je ne peux que me contenter de l'observer, dans un silence sacré.
Lorsqu'elle me dit dans un rire qu'on ne dévisage les filles de cette manière, je me dis que la vie n'est parfois pas si garce que ça alors je savoure ce sourire qui vaut mille mains tendues et lui pose des questions à laquelle elle n'a pas le temps de répondre. J'ai l'impression qu'elle commence à être un peu soûle car elle rit de plus en plus facilement à mes blagues. Attention, elle ne parait pas cruche pour autant, alors j'arrose son indolence avec un peu plus de vin. Elle pointe du doigt une brune, toute en formes, une sorte de Sabrina, vous savez oui, celle qui chante "Boys Boys Boys" dans la piscine et qui remise sans cesse son soutien-gorge. Elle n'est pas dupe, elle sait que, comme tous les mecs, mon regard est aimanté par cette poitrine opulente mais elle est gentille et feint de croire que je suis moi-même un garçon gentil. Alors je me surprends aussi à le penser et continue ce petit jeu de séduction, comme s'il n'était pas intéressé, seulement intéressant.

Le sort ne semble pourtant pas décidé à me laisser tranquille, lorsque l'hôte des lieux vient pour me présenter, moi le Français de la soirée, à ses invités. Bien que l'idée de me séparer d'elle quelques secondes me paraisse étrangement insupportable, je me trouve bien obligé de satisfaire mon hôte et lui dit de ne surtout pas bouger, lui promettant de réapparaître rapidemment. Elle me dit OK mais lorsque je reviens, elle a déjà disparu, dans un souffle, me laissant seul, le souffle coupé. Il est des secondes qui paraissent toute une vie. Le laps de temps qui m'a séparé de l'instant où je l'ai enfin retrouvée, seule et  assise, les pieds dans l'eau, m'a paru être un de ces moments.
J'ai la démarche malhabile mais l'esprit assuré, conscient qu'il ne tient qu'à moi de prendre les devants. Encore toi, me dit-elle. Mais je ne le lui laisse pas le temps de finir sa phrase et m'agrippe furieusement à sa taille comme un Italien à sa bouteille de grappa. Plus question de la perdre, plus question de te laisser partir, je m'enivre d'elle, je m'enivre de toi, Chiara. Ancora tù.


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C'est un peu le Julien Clerc transalpin, la classe italienne en plus, Lucio Battisti a pas mal rythmé mes dernières journées avec ce petit son groovy juste ce qu'il faut. On dit que c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe. Pas faux. Chaleur.

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