J'avais
rencontré cette fille au cours d'une de ces soirées étudiantes sur lesquelles
semblent pleuvoir des cristaux de MDMA, une fois la nuit tombée, en mode on se
galoche tous et les échanges de fluides corporels vont bon train. Déjà, son
visage de vieille adolescente au regard figé d'ennui tranchait singulièrement
dans cette mare de sentiments, noyé dans l'odeur âcre de la transpiration et de
l'alcool. On s'était quittés comme on s'était abordés, sans promesse pour quoi
que ce soit de plus. C'est à peine si elle m'avait murmuré qu'elle avait froid
lorsque je lui touchais l'épaule une dernière fois, l'esprit déjà tourné vers
une autre. Il faut dire qu'à cette époque-là, passer plus d'une nuit avec la
même fille me semblait une atteinte à la liberté que doit avoir tout jeune
homme de 20 piges dans la découverte de son corps et de celui des autres. Et
c'est non sans une certaine malice que je sautais d'un lit à l'autre. Chien
fou.
Les
années passants, je me suis surpris à repenser à ce dos nu qui me dévisageait
avec morgue au petit matin et au profil ascendant de sa hanche, accentué parce
qu'elle était sur le côté, une jambe légèrement repliée. Et je regrettais de ne
pas avoir pu figer une dernière fois ces traits fins un peu trop pâle dans le
marbre de mon esprit, réalisant trop tard, que j'étais peut être passé à côté
de quelque chose. Mes efforts en matière de stalking et autres recoupements
d'amis d'amis ayant fait chou blanc -c'est comme si elle s'était évaporée- l'amertume
de ne pas la revoir s'était peu à peu mue en certitude de garder au moins un
agréable souvenir de jeunesse.
5
ans plus tard, les reflets des lampadaires du jardin public de la Porte de
Saint Cloud scintillent sur un trottoir trempé que je dévale vitesse grand V et
je pourrais trouver ça beau si mes Clarks gorgées de flotte ne me donnaient pas
la sensation de marcher sur l'eau comme un Jésus des temps modernes alors qu'en
dépit de mes efforts pour les plaquer, la pluie frise mes cheveux de manière
toujours plus insolente. Et puis ça a quelque chose de déprimant de sortir dans
le crépuscule alors qu'il est à peine 6 heures passé, en plein mois de novembre,
non ? Et comme de juste, je n'arrive pas à éprouver ce mélange de libération et
soulagement qui m'habite habituellement, une fois la porte de mon taf passée,
et pour cause, la pensée de la revoir après tout ce temps me tenaille l'estomac.
Car oui, il faut croire que la vie n'est pas toujours garce et qu'elle réserve parfois
des secondes chances, même aux idiots.
Je
l'avais croisée alors qu'elle faisait des courses avec Mathieu, "son ami".
J'avais beau eu rabâcher ces deux mots a priori anodins, les jours qui
suivaient cette rencontre, je n'avais pas réussi à leur donner le sens que je
cherchais. Entendait-elle par-là, UN ami ou SON ami ? Faute d'avoir pu déceler
dans leurs gestes respectifs la trace d'une quelconque relation charnelle, je
m'étais dit que le meilleur moyen d'être fixé était de l'inviter à boire un
verre. N'avait-elle pas dit elle-même que "ce serait bien de discuter du
bon vieux temps" ? Quel bon vieux temps d'ailleurs ? On avait juste couché
ensemble, une fois. Et puis pourquoi BIEN et pas SYMPA ou COOL. Fatigué de me
perdre dans des considérations sémantiques, je lui avais envoyé donc un texto. "Avec
plaisir, m'avait-elle répondu." PLAISIR, hum.
Les
heures précédents mon rendez-vous avec Anna, j'ai développé les symptômes,
chez moi habituels, de tout béguin. Un estomac qui papillonne au moins autant
que mon esprit durant ces minutes interminables passées à rêvasser d'elle, à
imaginer dans le moindre détail le cours entier de notre histoire à venir ;
depuis notre premier baiser jusqu'à notre deuxième première fois, depuis notre emménagement
ensemble jusqu'au jour de mariage, depuis notre dispute sur le groupe de
musique qui jouera ce jour-là à celle sur le prénom des enfants. Un rituel qui,
s'il me fait souvent passer pour un psychopathe aux yeux des gens auxquels je
le raconte, a au moins le mérite de me détendre et de me faire penser que ça va
forcément bien se passer.
Elle
n'a
pas vraiment changé. A peine a-t-elle développé ces quelques rides
caractéristiques des filles qui n'ont pas peur de trop rire, de fins
sillons
qui partent de la commissure de ses lèvres et embellissent plus son
visage
qu'ils ne le vieillissent. Dans sa tenue des plus simples, un haut
blanc, un short en jean et des bottines vernies, elle a un petit air de
Charlie Hilton, la brune mystérieuse de Blouse. Avec des traits moins
durs. Sa seule excentricité semble en
fait se manifester dans la lourde bague qu'elle porte à l'index droit et
dans
ses ongles vernis de noir. On
s'est retrouvés dans ce bar de Bastille qui porte le nom d'une chanson des
Rolling Stones, un bar discret à la devanture rouge dans lequel j'aime bien emmener
les filles pour les voir se faire happer par la déco complètement kitsch. Les
peaux de léopards qui tapissent les murs, les néons colorés qui vous
électrisent… Et puis, il y a rarement grand monde avant 22 heures en semaine,
ce qui permet de se laisser bercer par les morceaux des Stones en toute
intimité.
On
échange des propos sans queue ni tête, on parle d'un tas de choses, je ne sais
plus très bien de quoi. De ce prof qui aimait tâter de la bouteille. Et comme
on parle de cette nouvelle qu'elle écrit, on dérive sur Mailer et cette
histoire de canif qu'il a, un jour, planté dans le sein de sa femme et alors
qu'elle joint le geste à la parole, ces grands yeux frémissent et m'éclatent à
la figure. Je vous jure, les yeux bleus de cette fille sont des pics de forage
si paradisiaques qu'ils subliment l'ennui. Des morceaux de glaces azur
surplombés de cils dont le battement d'aile suffirait, j'en suis sûr, à
provoquer une tornade à l'autre bout de monde… ou mon sourire béat alors que je
suis juste en face d'elle.
J'ai envie de
lui dire que l'idée que quelqu'un puisse lui planter quoi que ce soit dans sa
poitrine me fait horreur. Que ces seins, je n'ai qu'une envie, les embrasser.
Mais malheureusement pour moi les mots restent cramponnés au fond de ma gorge
comme des GI's qui partiraient au front à reculons alors je dégaine un ensemble
de banalité. Et comme je sais que j'ai pas le charisme d'un Ryan Gosling au point
de faire tomber les filles sans avoir besoin de prononcer un mot, je commence à m'inquiéter
de la tournure que prennent les choses. Car j'ai peur que ne s'installe cette tension
"asexuée" dont je sais qu'elle flottera de façon irrémédiable si je
n'arrive pas à provoquer ce point d'inflexion où le verre entre
"amis" devient un rencard. Et peut-être que je mets trop de pression
à vouloir tout trop vite, à pas laisser la complicité s'installer et le charme
infuser tranquillement mais ce genre de rendez-vous s'apparente pour moi à une
véritable course contre la montre dans laquelle le barman qui revient
inlassablement remplir nos verres est un allié efficace. Qu'importe les dialogues,
pourvu qu'on ait l'ivresse.
Et alors que l'horloge tourne, que le barman semble me jeter un dernier regard complice en mode "Mais t'attends quoi coco ?", elle me dit qu'elle a envie de sortir
fumer une clope. A l'air libre, j'observe sa bouche narquoise et sa façon de plisser les
yeux alors qu'elle cherche le briquet dans son sac et je me dis que si je veux
l'embrasser, c'est maintenant ou jamais, avant que l'on ne soit engloutis par
la bouche d'un métro. Là où tout est forcément moins romantique. Et
la pluie recommence à tomber, et je me dis que j'aimerais bien qu'Honoré vienne
nous filmer parce que lui saurait quelle suite donner aux dialogues pour que le
scénario se finisse bien et s'il le faut je suis prêt à me lancer dans de
grandes envolées lyriques, à m'agripper à ce lampadaire qui semble me faire de l’œil, pour lui demander si elle a déjà aimé pour la beauté
du geste avec la morgue nonchalante d'un Louis Garrel.
Et
c'est au moment où je m’apprête à lâcher l'affaire qu'un SDF surgit, qui invective les passants et pue le pinard à 10 mètres et là je me dis que c'est le comble
parce qu'il a pas l'air d'avoir envie de nous lâcher et je sens, que comme d'hab, il va falloir me dépêtrer d'une nouvelle embrouille. Mais c'est quand il lui jette à la figure, regard de tarsier à l'appui, mi-bourré mi-habité, "Tu es pâle comme la mort" que je comprends que le signe que
j'attendais tant vient d'arriver , qu'au fond on a tous droit à notre instant de cinéma, cet instant où on oublie cette insécurité qui nous ligote en permanence . Et j'ai beau avoir bu pas mal de verres, j'ai l'impression de ne jamais avoir été aussi lucide qu'à cette minute où par je ne sais quel instinct protecteur, j'ai envie d'éteindre ce regard azur empli de doutes alors que je l'attrape par les hanches, comme si chacune des pressions de mes
lèvres sur sa bouche pouvait lui insuffler un peu plus de vie. Autour de nous, la pluie n'est plus que bruine et les cris murmures. Silence, on tourne.
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Parce qu'on a tous droit à notre dose d'amour, voici un clip qui exalte la romance sauce malaise et donnera raison à ceux qui pensent qu'on se fait parfois baladés comme une marionnette lorqu'on est amoureux. Sinon, j'espère que vous ça va.
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Parce qu'on a tous droit à notre dose d'amour, voici un clip qui exalte la romance sauce malaise et donnera raison à ceux qui pensent qu'on se fait parfois baladés comme une marionnette lorqu'on est amoureux. Sinon, j'espère que vous ça va.