C’est
une toute petite place dans Paris, un peu à l’écart du monde. Pas vraiment une place
en fait, plutôt le croisement de plusieurs chemins poussiéreux dans cet endroit
qu'on appelle le Père Lachaise. Ces derniers temps, j'y viens souvent en
voisin, pousser des petits ballons d'haleine givrée les dimanche après-midi,
pour cuver en silence mes excès de la veille alors que je regarde les filles
déposer religieusement un baiser sur la sépulture d'Oscar Wilde. Et puis,
j'aime bien déambuler parmi ces arbres dégarnis sur lesquels ne subsiste plus
qu'un mince toupet de feuilles, un couvre-chef dont je sais qu'il ne survivra
pas longtemps à cet hiver mordant.
C'est
un lieu isolé, loin de l’excitation de la ville, un endroit où le temps n’a pas
de prise, forcément c'est un cimetière, un endroit où rien ne s’écoule
exactement de la même façon…. Un lieu un peu magique et idéal pour un amour
caché, j’imagine.
Depuis
quelques semaines déjà, je la vois arriver par le même escalier défraîchi qui
monte jusque-là, alors que j’ai moi-même emprunté un sentier escarpé, slalomant
entre Molière et La Fontaine. Deux itinéraires distincts pour arriver au même
endroit et se retrouver. Partager un moment de vie, une discussion, des rires,
des regards… Avant de se quitter, difficilement, plus tard. Triste séparation à
peine atténuée par la perspective de se revoir, minutes intenses durant lequel
j'ai envie de m'abandonner à cette hésitation amoureuse. Mais toujours, chacun
repart par où il est venu.
Et
à chaque fois, cette envie de lui plaire, plus que celle, forcément plus
égoïste, de l'impressionner. Ses cheveux miels, carré court presque plongeant à la Carey
Mulligan, qui révèlent des traits mutins. Son enthousiasme et ses lunettes
écaillées qui m'expliquent qu'elle est institutrice parce que "tu vois,
c'est vraiment à cet âge qu'on peut faire une différence". Elle dit ça
en me regardant droit dans les yeux et ça me touche de voir quelqu'un d'aussi
investie dans son taf alors que je suis complètement paumé à ce niveau là. Et
quand elle parle de son mec, ça me rend là aussi envieux parce qu'on voit bien
qu'elle le met au-dessus de tout, qu'elle sait accepter le moindre de ses
défauts voire même les apprécier, chose qu'il faut bien admettre j'ai toujours été incapable de faire, en
témoigne la fulgurance de la plus longue de mes relations. Et puis, elle
a ce don pour te mettre à l'aise, un naturel qui lui vaut sans doute la sympathie de tous les garçons qu'elle rencontre,
des types qui comprennent qu'ils n'ont pas besoin de s'allumer à coup de pintes
et de shooters pour surmonter leur appréhension, des types qui n'ont qu'à
ouvrir la bouche pour se sentir les plus spirituels du monde en sa compagnie.
Une fille saine quoi.
Et c'est vrai que j'aime ses yeux qui s'agrandissent encore et encore, comme saisis d'une sorte
d'amusante détermination, et toujours ils me sourient, enfin elle me sourit. Un
sourire qui n'a pas peur de révéler ses belles dents blanches, un sourire qui
s'assume et qui, aussi candide soit-il à cause des contours particuliers de son
visage et de l'indépendance de son humeur, est toujours celui d'une invité
étincelante. Et je me sens transporté toujours plus haut, pour ne retomber que
lorsque le sourire, ayant atteint la limite de la grimace, s'efface aussi
discrètement qu'il n'a été expansif. Et ça devient une drogue, et très vite
l'envie de contempler ce visage avec un ravissement inépuisable. Et l'envie
aussi, de le voir de plus près.
Sur
cette petite place dont je vous ai parlé, il y a un autre escalier qui part et qui monte, encore plus haut. J'ai toujours été persuadé que cet escalier,
un jour, nous le gravirions ensemble. Je savais pertinemment qu'elle était
prise et heureuse mais enivré par sa confiance en moi et son bien-être, je me
persuadais que même s'il fallait laisser quelques hivers s'écouler sur le Père
Lachaise, tôt ou tard, on se trouverait. Et main dans la main, on entendrait
Matt Berninger murmurer "I need my girl" dans l'air frais d'un dimanche
après-midi. Oui, je le pensais sincèrement et je me disais que ce serait
véritablement un joli symbole.#
Aujourd’hui,
notre rencontre ne s’est pas déroulée comme prévu. Il se pourrait qu’à un
moment ou un autre les choses nous aient échappés. Avec le recul, j’ai du mal
à analyser ce qui s’est passé, à comprendre comment un tel séisme affectif a pu se produire.
Comment elle a pu oser amener son mec dans ce qui était pour moi, ni plus ni
moins, que notre sanctuaire sacré, ce lieu un peu magique et idéal dans lequel
on vit heureux parce que l'on y est caché. D'une certaine façon, je n’arrive
toujours pas à y croire et si je n'ai rien laissé transparaitre, au cours d'une
discussion forcément moins spontanée qu'à l'accoutumée, moins animée, je sais
qu'en la regardant descendre et disparaître solidement accrochée à l'épaule de
son mec, une certitude s’est imposée à moi. Celle que nous ne monterons jamais
ce grand escalier ensemble. Et tant pis si certaines choses sont faites pour
rester à l'état de douces rêveries, il me reste toujours Matt Berninger pour
les bercer...
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Autant le dire tout net, entre Matt Berninger et moi, ce sera à jamais, à la vie, à la mort. Mon
pote barbu blond vénitien qui chante comme jamais le spleen car oui
mesdemoiselles et messieurs, le Baudelaire des années 2000 est un baryton qui
nous vient d'Ohio et qui balance sa déprime sur "I'm afraid of
anyone". C'est mon wingman quand je veux passer pour un garçon sensible
auprès de la fille qui est montée chez moi "boire un verre" et mon psy quand je
veux combattre le désœuvrement à coup de "High Violet". C'est un peu de moi quand j'avais 17 ans et encore plus aujourd'hui, à 25 ans. Allez, j'arrête là mes divagations, joyeuses fêtes à toutes et à tous.
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