On est en 89, j'ai 20 ans et je savoure cette nuit d'avril où l'on s'est enfin découverts, jusqu'au dernier fil. On est confortablement lovés à l'arrière de ma R5 et la chaleur de nos corps presque nus et blottis l'un contre l'autre s'évapore dans des ridules de buée qui viennent s'échouer de toute part des vitres alors que dehors la pluie ne semble pas avoir plus de répit que notre étreinte.
Son souffle chaud me rebat les tempes et fait écho aux paroles d'Alphaville qui sortent timidement de la radio. Je laisse glisser mon doigt sur son front et dans un geste indolent, le ressort lestée d'une goutte de sueur que je noie dans la masse noire de ses cheveux. Lorsqu'elle lève finalement la tête vers moi, son sourire se crispe dans une crampe, comme un ultime frisson qui la parcourt alors qu'elle détend enfin tous ses muscles et me jette un regard dont je n'arrive pas à dire s'il est soulagé ou intrigué.
Ses jambes arquées sont un point d'exclamation à notre coït et nos cœurs et nos corps enlacés sont un doigt d'honneur à la vieillesse qui nous entoure. Je n'ai jamais été sûr de rien dans ma vie, encore moins lorsqu'il s'agissait d'elle, mais pourtant à cet instant je ne doute pas que l'on restera, éternellement, jeunes et ensemble, comme une photo de Larry Clark qui aurait capturé l'innocence de ce moment. Alors je plaque mes mains sur ses grands yeux noirs pour qu'elle s'endorme sur cette dernière image et je m'assoupis, un sourire collé aux lèvres.
20 ans plus tard, le temps semble m'avoir donné tort. La grâce est trop remuante pour tenir dans une œuvre, elle se tortille comme une chenille qui entame sa mue et se délite un peu plus à chacun des battements de notre cœur. Pourtant, si aujourd'hui on n'est plus tout jeunes, on est toujours ensemble et je réalise enfin que c'est bien là l'essentiel. Larry Clark peut rester là où il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire