mercredi 18 mai 2011

Dans les choux


Comme d'habitude elle avait mis un temps fou à se préparer. Quand ce n'était pas le portable qui manquait à l'appel, c'était les clés qui avaient subitement disparu. Et moi, au milieu de tout ça, je ravalais ma colère, grinçant entre les dents quelques considérations peu amènes sur les femmes, redoutant la longue route qui s'annonçait.

On avait décidé de passer le week-end à Bruxelles chez des amis. Un peu pour essayer de sauver notre couple, surtout pour voir si nous nous aimions tout simplement encore. Depuis ce qui c'était passé, on essayait de recoller les morceaux. Je sais bien que je n'aurais jamais dû la tromper. Et sans doute encore moins, le lui avouer. Si au moins je m'étais confessé par soucis d'honnêteté mais même pas. J'avais juste pas eu assez de couilles pour continuer à supporter tout ça. Vivre dans le mensonge, subir un quotidien pour lequel je n'attendais plus rien.
Ce qui m’avait vraiment étonné, c'était sa réaction. Elle avait à peine bronché et avait dit qu'on allait s'en sortir, qu'elle n'avait pas sacrifié les plus belles années de sa vie pour une fin digne d'un mauvais feuilleton. Elle avait trente-trois ans et plus l'âge pour supporter ces conneries. Je m'étais attendu à tout sauf ça. J'aurais compris qu'elle pète un câble, qu'elle me crache à la gueule, qu'elle jette nos cadres photos par la fenêtre où je ne sais quel genre de réaction que l'on voit dans ces comédies dramatiques qui passent l'après-midi sur la 6. C'est cliché mais c'est humain... Beaucoup plus en tout cas que ce masque de placidité qu'elle affichait depuis ce jour-là. Ça en devenait même flippant. Et puis, à cette gêne permanente, s'ajoutait l'inconfort de nuits passées sur le canapé, sous les conseils avisés de notre thérapeute. L’enfoiré.

Parce que oui évidemment, on s'était embarqué dans une sorte de thérapie conjugale avec un praticien qui te demande ce qui ne va pas, ce qui t'énerve chez l'autre, ce que tu aimes chez lui, sans même concevoir que finalement le problème, c'est que cette personne t'indiffère. Tu ne l'aimes pas, tu ne la déteste pas, elle interagit juste avec toi et ça s'arrête là. Aucun rapport avec un complexe d'Œdipe ou une crise de la quarantaine quelconque.
Il est des histoires auxquelles il faut savoir mettre un point final. Le problème c'est qu'elle ne s'en était pas encore rendu compte. Rongé par la culpabilité, je ne me sentais pour le moment pas le courage de lui ouvrir les yeux et attendais qu'elle le fasse par elle-même. En espérant que ça ne lui prenne quand même pas trop de temps…

Une chanson de Lee Moses, Bad Girl, tourne en boucle. Je commence à fatiguer. Alors que je m'apprête à changer de titre, elle me dit de me concentrer plutôt sur la route. « Il faut que tu prennes cette putain de sortie direction Mons / Bruxelles ». Elle prononce ces paroles les dents serrées. Les mots semblent avoir du mal à quitter cette bouche désincarnée dont j'ai peine à croire que j'ai pris tant de plaisir à l’embrasser.
Comme prévu, on roule depuis quelques heures car on s'est perdu dans les dédales du Ring belge, ce périphérique qui n'en est pas vraiment un, maillage inextricable de routes toutes semblables. La nuit est tombée sans crier gare sur le macadam et les rares éclairages qui miroitent au loin donne au tableau une touche impressionniste. Et nous, au milieu de tout ça. Dans les choux. Direction Bruxelles.

Lorsque je dis à Sophie que nous sommes sur le point d'arriver, ses yeux noirs roulent sur eux même puis se retirent de dessous ses sourcils, non sans une certaine suspicion. Il semble que ce week-end, elle ait l'intention de mettre en doute la moindre de mes affirmations. Comme si elle comptait me jeter mon infidélité à la gueule à chacune de mes prises de position. Après tout comment pouvais-je être à nouveau fiable dans quoi que ce soit après ce que je lui avais fait subir ? C'était peut-être ça le fond du problème.

Il est 2h et quelques du matin, les gravas d'un chemin peu entretenu croustillent sous les roues de la Golf. Nous voilà arrivés. Une fois le moteur éteint, je prends le temps de regarder son visage puis plaque le mien contre le rétroviseur intérieur. Le contraste est saisissant, je suis au moins aussi claqué qu'elle a l'air reposée. Nos hôtes qui ne nous attendaient plus, nous propose de nous diriger directement vers la chambre, pour pouvoir profiter pleinement des jours à venir. Au moins ce week-end me permet-il de retrouver un lit convenable, les convenances sociales prenant le pas sur la fierté personnelle. Même si au fond, je suis sûr que nos amis ne sont pas dupes. Il est des regards glacials de ma « douce » qui ne trompent pas.

Le réveil est difficile. La nuit est toujours une parenthèse délicieuse, ma tristesse est comme un brouillard qui s'évanouit une fois l'obscurité arrivée, alors que mes problèmes conjugaux sont chassés par des souvenirs agréables ou des projections encore plus merveilleuses. Et puis pointent les premiers rayons du soleil. J'ai beau m'enfoncer la tête sous l'oreiller pour grappiller quelques minutes de quiétudes, le lever du jour vient inexorablement me rappeler à la réalité.
Pourtant aujourd'hui, je me sens étrangement serein. C'est sans doute parce que je suis loin de tout ce bordel parisien mais je suis d'humeur à déplacer des montagnes. Le temps semble aller dans mon sens, le soleil brille sur les toitures d'ardoise de la ville, laissant présager une journée très agréable.

On se perd dans les rues de Bruxelles et on atterrit dans la Grand Place, passage obligé pour toute personne équipée d’un appareil photo. Nos amis nous initient aux secrets de la statue d’ Everard 't Serclaes, une figure politique locale du 14ème siècle. La toucher est présage de chance alors je m’exécute, sans même trop savoir pour quoi prier.
Ça fait un petit moment que l’on marche lorsque l’on passe devant une petite fille, cloitrée derrière une grille au cuivre rongé par le temps. Elle semble terriblement seule. C'est vrai qu'elle a beaucoup moins de succès que son homologue masculin qui fait pipi, la pauvre, alors, comme pour la consoler, je lui verse le fond tiède de ma canette de Jupiler. A ta santé, Janeken pis. Ce geste ne semble toutefois pas plaire à Sophie qui me jette un regard noir et me jette tout court devant un bar à la pancarte clignotante. Ma pote me dit que le Délirium est l'un des bars les plus connus de Bruxelles et que sa carte de bière est à la hauteur de sa popularité. Un argument qui fait écho à mon envie pressante de boire de l’alcool alors je passe le seuil nimbé de lumière et plonge dans l'inconnu, l'obscurité du sous-sol.
Je pense qu’à la définition du mot interlope, dans le dico belge, figure une photo du Délirium. C’est l'incarnation absolue de ces lieux de perdition où quiconque entre, abandonne tout espoir de sobriété. Du moment que les soucis restent eux aussi sur le pas de la porte, ça me va parfaitement.
On pénètre dans une salle où le temps semble s'être arrêté au début des années 90. A cause des volutes de fumées d'une part (il est pour quelques mois encore autorisé de fumer en Belgique) mais aussi de la musique que crachent les baffles disséminées ça et là, les Red Hot tenant la jambe à Nirvana.

Alors que je slalome entre les tables, je me dis que c'est le genre d'endroit qui peut nous faire que du bien. L'atmosphère est à elle seule enivrante, j'ai l'impression de pénétrer dans un bunker alcoolisé. Il a beau être à peine 4 heures de l'après-midi, nous sommes plongés au beau milieu de la nuit. Le temps ne semble pas avoir plus de prise sur les fûts qui servent de tables que sur les centaines de bières qui composent la carte. Blonde, ambrée ou blanche, il y en a pour tous les goûts alors on commande pas mal de bières. 7 ou 8, différentes les unes des autres, que l'on décide de faire tourner vers la droite. Le caractère un peu adolescent de ce jeu me donne du baume au cœur.
Pouvoir partager de nouveau quelque chose avec Sophie me réjouit de manière vraiment surprenante. Cela me rappelle cette fois où, alors que je venais à peine de la rencontrer, dans une soirée étudiante, elle ne pouvait s'empêcher de boire au goulot de ma bière. Ce n'était pourtant pas les bières qui manquaient, mais non, sans cesse elle posait ses lèvres sur le goulot de la mienne. Moi ça m'était égal, au contraire même. Pour la première fois de ma vie, j'appréciais cette sensation de partager quelque chose avec quelqu'un. Moi qui m'étais si longtemps foutu de la gueule de ces couples qui mange dans le plat, l'un de l'autre.On dit souvent que le bonheur ne mérite d'être vécu que s'il est partagé, peut-être que ça s'applique à la bière au fond.
Alors que je perds dans ces considérations, je jette un regard vers Sophie. Son sourire fait écho au mien. Je me dis que finalement elle a peut-être raison, on peut s'en sortir. Çà me fait du bien de retrouver cette sensation, j'avais fini par oublier ce que c'est que de ne pas se prendre la tête avec elle. Toutes les raisons qui m'ont poussé à m'attacher à elle se sont rappelées à mon bon souvenir.

Le problème c'est que les trahisons amoureuses cristallisent comme une croûte sur la peau. Avec le temps, la plaie semble se cicatriser mais la blessure reste profonde. Le moindre geste maladroit risque de raviver la plaie purulente. C'est souvent une parole blessante, parfois un geste déplacé. Ça a été un regard mal orienté.
Un pote m'a fait signe, m’indiquant du coin de l’œil le comptoir en zinc. La serveuse était vraiment mignonne mais, manque de chance, Sophie surprenant mon hochement de tête, m'a jeté un regard noir. Je n'ai pas jugé utile de me justifier. J'ai avalé le fond de ma « Gueuse » d'une traite et lui ait proposé de faire un tour dehors. Elle a acquiescé. C'est vrai, on avait des problèmes et il était temps de sortir les affronter. Lorsque la plaie ne cicatrise pas, il faut savoir amputer.

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