mardi 3 janvier 2012

2012, année de la lose ?

Léa c'est doux

Autant être honnête j'ai jamais été un grand fan des soirées de réveillon, ce rassemblement de personnes la plupart étrangères les unes aux autres, réunies parce qu'elles ont jugé cette solution préférable à une soirée en tête à tête avec leur télé et Patrick Sébastien ou pire encore un réveillon en famille, cette caste d'intouchables dans l'échelle sociale de la soirée du 31.
Comme d'habitude, j'avais toujours rien décidé à quelques jours de l'échéance parce que "tu vois je trouve ce genre de truc trop convenus, les gens se mettent trop de pressions pour une soirée comme les autres…"  Et puis entre nous, qui, sinon les personnages de série télé ou de film, a déjà vécu un réveillon inoubliable ? Néanmoins, mon anticonformisme se heurtant comme souvent à mon refus d'être socialement ostracisé, j'avais fini par appeler une pote qui avait eu le mérite de se manifester à mon retour du Mexique pour ne pas finir seul, mon verre de mousseux à la main, entamant le compte à rebours un chapeau en papier crépon sur la tête. Et me voilà donc essayant difficilement de tracer ma route à travers la foule endimanchée, montant les marches du métro direction une fête vers Gambetta. Devant moi, une fille qui porte un slim simili cuir qui ne lui va pas parce qu'elle a le cul un peu trop large et les jambes un poil trop courtes et les plis intempestifs qui lui boudinent les mollets abreuvent abondamment mon sourire mesquin.

A l'intérieur, la fête bat son plein. A mon arrivée dans ce qui devait être il y a une heure ou deux le salon et qui ressemble désormais à une pataugeoire alcoolisée, j'écarquille les yeux pour laisser mon regard bifurquer dans toutes les directions et balayer les filles d'un simple coup d'œil. Là-bas au fond, une petite brune vaguement potable, typiquement le genre de nana capable d'arborer son sac en toile Kooples solidement accroché au coude dans le métro, juste pour montrer à tout le monde qu'elle n'hésite pas à claquer 245 euros dans cette petite robe bustier gansée qu'elle porte ce soir. Et tant pis si elle se condamne par cet achat à porter des escarpins achetés 29 euros chez Bata "parce qu'avec des indemnités de stage de 398 euros difficile de survivre à Paris et ça vois-tu Papa ne le comprend pas". Mais l'important c'est qu'entre Baptiste et elle, ce soit un peu comme entre Adam et Karolina, "couple" dont elle voit l'histoire placardée sur les murs du métro Sentier quand elle va boire un jus de tomate ou un coca cola LIGHT rue Montorgueuil avec ses copines. Et puis, Baptiste est tellement beau dans son jean slim et sa veste en cuir cintrée quand il vient la chercher en Vespa après son verre entre copines. Baptiste parlons-en, ce soir, il porte un tee-shirt marinière col un peu échancré pour laisser ses deux-trois poils de torse prendre l'air alors qu'une fine moustache pourrait souligner son sourire charmeur si sa pilosité inégale ne lui donnait pas l'aspect duveteux des ados. Tout cela sans même s'attarder sur son slim plus étroit que celui des filles de l'assemblée, un slim qui semble lui compresser les burnes au moins autant que sa copine hyperactive. "Eh Bapt', parle-lui de cette expo post-impressionniste qu'on a vu la semaine dernière ! Oh oui et puis ce reportage sur les jeunes russes qui prennent du Krokrodil dans Vice, ça nous a retournés. Dis Bapt' tu pourrais aller me chercher une coupe de champagne ?" C'est du mousseux connasse.

A côté de moi, un groupe de mecs suffisamment pétés pour que l'on devine qu'ils ne feront pas partis des heureux(?) à passer la barre des minuit. Le regard éteint, les gestes alanguis mais la voix décuplée, ils t'interpellent, ton manteau à peine posé, avec l'enthousiasme de vieux potes de régiment et s'assurent que tu as toujours un verre à la main. De véritables petits Saint Bernard éthyliques. A leur droite, une fille avachie sur le canapé, on sent qu'elle a tabassé son joli minois à coup de mousseux et que 2011 est déjà terminé pour elle. A moins que ce grand blond qui lui jette des regards intéressés ne réussisse à l'extraire de sa quasi-inconscience le temps d'une étreinte coquine… Et puis comme on est sur Hip for the Chick, il y a aussi cette fille super jolie, un peu isolée, mystérieuse. Cheveux miel vaguement noués, regard de chat et peau de pêche, une farouche qu'on ne chope pas d'un coup de lasso, ça se voit. Elle s'appelle Prudence et ça lui va bien car elle semble aussi fugace et insaisissable que Léa Seydoux dans "Belle Epine". Elle porte un grand pull col roulé beige qu'on devine enfilé à la va-vite et elle discute avec une pote toute aussi jolie qu'elle mais sur laquelle je ne m'attarde pas car ma pote Julie me signifie avec un sourire entendu que "c'est une goudou". Et comme elle voit que je comprends pas elle précise, "c'est une lesbienne". OK.
La nana qui organise la soirée est plutôt cool mais le sourire immuable qu'elle trimballe depuis déjà une heure m'effraie à un tel point que je me demande si elle le lâche avant d'aller s'endormir. Une question qui restera sans réponse à la faveur d'un verre que me resservent les types de tout à l'heure, mes Saint Bernard. Je n'aime pas vraiment la vodka mais je dois admettre qu'à partir d'un certain moment les circonstances imposent que l'on arrête de faire son gourmet et ce même si la brulure humide de la vodka qui refroidit la bouche et met la gorge en feu n'ait pas exactement ma tasse de thé.

Et alors que les minutes puis les heures s'égrènent doucement, que minuit menace à tout moment d'apparaître et que le vacarme ambiant s'est transformé en murmure ouaté pour mes oreilles alanguies par l'alcool, j'arrive à ce stade où tu te retrouves seul comme un con et tu te dis qu'il vaut mieux faire n'importe quoi que rien du tout. Un peu comme quand tu t'es trituré l'esprit des heures pour envoyer un texto fin et attentionné (mais qui n'en dévoile pas trop car tu ne veux pas passer pour une éponge sentimentale) à la fille que tu chines depuis quelques rencarts infructueux. Et à chaque fois que tu écris ce putain de texto, vient ce point d'inflexion où tu te dis que ce ne sont pas trois mots changés qui vont faire la différence alors tu appuis sur le bouton envoyé en jetant un regard de défiance au type tout en haut.
Oubliant donc toute cette pudeur qui m'empêche habituellement d'exprimer le moindre sentiment, je m'avance vers une Prudence enfin esseulée, prêt à accrocher son regard avec mon sourire et un verre de punch comme hameçons.
On m'a souvent dit que j'étais un garçon tactile, ça n'a jamais été aussi vrai qu'à cette seconde où j'ai attrapé sa main gonflé par je ne sais quelle subite confiance en moi, sans doute parce que la vodka vibrait très fort dans ma tête, alors que j'avais à peine eu le temps d'échanger quelques banalités avec elles. Et c'était plutôt un timing parfait parce qu'un type avait eu la bonne idée d'abandonner les Rihanna et Florida de circonstance pour balancer ce morceau des Gangs of four qui sent tellement le sexe que t'as subitement envie de faire l'amour-là, au beau milieu de la foule, les premières paroles à peine jetées avec morgue par le chanteur. "Your kiss so sweet. Your sweat so sour. Sometimes I'm thinking that I love you. But I know it's only lust." Alors que l'on murmure ses paroles à l'unisson, j'ai envie de lui arracher ce pull qui empêche tout contact avec cette peau que je devine délicate et nacrée rien qu'à l'aspect de ses mains. On est tellement bien qu'on n'aperçoit même pas les regards noirs que nous lance la pote de Prudence, sans doute dégoûtée de se retrouver seule alors que l'on nage dans un océan de coton éthylique. Cette dernière demi-heure rythmée par les cris d'un type dont les "10 – 9 - 8…" lancés toutes les cinq minutes finissent par tomber dans l'indifférence générale s'étire avec la tiédeur du miel qui coule dans un tisane, langoureusement. Et j'ai envie de retenir 2011 à jamais, je suis si bien avec elle et tellement clair en moi, si immodérément amoureux de cet instant que je voudrais entamer lentement l'adoration de chacune de ces secondes qui me filent entre les doigts.

Alors que dans ce combat perdu d'avance, le compte à rebours fatidique parvient à son terme, que des types débouchent le champagne et arrosent l'assistance avec la ferveur de pilotes de formule 1, la brève seconde durant lequel j'ai lâché la main de Prudence pour dégager mes yeux aveuglés par la mousse suffit à l'éloigner de moi. Et c'est finalement pas du miel que je sens bouillonner dans mes veines sinon un ressentiment proportionnel à mon envie d'assaillir ses lèvres brûlées par la vodka lorsque je la vois qui me tourne le dos, embrassant fiévreusement sa "pote". Putain d'année 2012.


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