lundi 28 février 2011

Voyage au bout de l'ennui


C'était une soirée pas terrible. Une soirée qui si elle ne s'annonçait pas vraiment mal, ne laissait pas pour autant présager grand-chose de bien. En bref, ce genre de soirée au cours de laquelle tu te demandes sans cesse ce que tu peux bien foutre là, spectateur d'un film dans lequel tu as arrêté de jouer depuis longtemps.

J'étais tranquillement accoudé au bar, sirotant un énième cognac / canada dry et tentant sans succès d'établir un semblant de connexion visuelle avec une brune assise dans un box à 50 mètres de moi.  Le pote avec qui j'étais venu n'était lui plus des nôtres depuis longtemps, affalé qu'il était sur un de ces canapés en simili cuir que l'on retrouve dans ce genre de boites un peu cheap, en symbiose avec sa bave rendue laiteuse par l'abus de Pina Colada. En le voyant comme ça, si apaisé dans ce vacarme sonore, je me dis que ce type est impayable. Je le revois quelques heures plus tôt planté devant ma porte, son éternel sourire de con sur les lèvres lorsqu'il m'aperçoit rentrant péniblement du boulot. Parfois quand je sors avec lui, j'ai l'impression de me retrouver dans une de ces scènes du "Bright Lights, Bright City" de McInerney lorsque le narrateur se désespère de sortir avec son double maléfique, Tad Allagash.
Bon, mon Tad Allagash à moi, il est un peu plus cheap c'est sûr. C'est clair que ses plans à lui, loin de me faire miroiter des rails de coke sniffés avec des mannequins toutes plus sublimes les unes que les autres, me font le plus souvent atterrir dans la moiteur crasse des ces boîtes de nuits où finissent ceux qui n'on rien d'autre à faire ou nulle part d'autre où aller. Des boîtes de nuits où la musique s'emble s'être arrêtée à la fin des années 90, où l'entrée te donne droit à une coupe de mousseux ou un peu de bière éventée et qui ont souvent un nom dans le genre "La Maison Blanche", "La grande Maison"... Bref, pas le genre d'endroit où tu espères rencontrer la fille de ta vie.

Pour m'occuper j'essaye d'imaginer les discussions entre chaque table. Il y a d'abord ce couple qui semble se disputer au sujet de l'infidélité supposée de l'un d'entre eux. Le mec ; à en croire le visage déformé par la colère de la fille. Il y a aussi cette tablée de types passablement éméchés. Le tintement des bouteilles de vodka qui s'entrechoquent rivalise avec les sons rigolards qu'émettent certains d'entre eux. Et puis il y a moi, seul et accoudé au bar. Je bois et j'observe les volutes de fumée bleu qui s'échappent de la scène et atterrissent mollement sur les néons rouges du bar, conférant à l'ensemble un panorama qui sierait bien à l'enfer.

Une fille m'accoste. Cheveux très courts et peroxydés à la Agyness Deyn. Elle porte une salopette qu'elle a du piquer à Tom Sawyer et des Docks Martens. J'aime bien son style garçonne. J'entame la discussion en lui disant qu'en général je n'aime pas les filles aux cheveux courts mais que là, je ne peux que m'incliner devant la perfection de ses traits. Elle sourit. Je sais pas si elle se fout de la gueule de mon baratin ou apprécie l'hommage. Lorsqu'elle me demande si je sors toujours ce genre de compliments mièvres, je suis fixé.
J'entre dans sa provoc' en disant que non, en général je joue le rôle du connard et que ça marche parce qu'au fond elles aiment toute ça, non ? Cette fois le sourire me semble un peu plus crispé. Sans même que j'ai le temps de réaliser, elle me balance son verre et me traite de pauvre connard. Dommage, je sentais qu'on avait un truc.

Impassible, je ne fais même pas l'effort de me nettoyer et affiche sereinement tout ce qu'il peut me rester de dignité. De toute manière dans ce bordel ambiant, je ne pense pas que quiconque aie réalisé le mélodrame qui se jouait sous leurs yeux. En tout cas certainement pas mon pote dont le cas commence à m'inquiéter légèrement. Je vide mon verre d'un trait et vais le voir. Un peu écœuré par le souffle éthylique qui me rebat les temps alors que je m'approche de son visage, je lui mets des légères claques et essaye de le secouer pour le réveiller. Mon endormi daigne enfin sortir de son somme, non sans avoir émis au préalable quelques grognements vindicatifs. Je le prends sous le bras et nous nous dirigeons vers la sortie. Je ne peux réfréner le spasme qui me saisit lorsque je recroise la blonde peroxydée au niveau de l'entrée. Elle se contente de m'adresser un rire moqueur.

- C'est qui cette nana, me demande mon pote à moitié endormi. Tu l'as chopée ?
- Non mais un verre de plus et j'y arrivais, je lui réponds.

Après avoir slalommé entre quelques zombies abrutis par l'alcool, on arrive enfin à passer la porte de sortie. On croise un taxi. Vu que nos adresses sont diamétralement opposées je me dis que ça va être compliqué. Je laisse mon Tad dans le taxi et lui dit que je vais profiter des premières lueurs matinales pour rentrer à pied.
J'ai les oreilles qui bourdonnent encore mais ça ne m'empêche pas d'apprécier le concerto que représente le piaillement des oiseaux à cet instant. Du Rachmaninov comparé à la violence de la merde qui passait une heure plus tôt. Lorsque je sors de boîte comme ça, j'ai toujours l'impression de sortir d'un long voyage. Comme dans "Apocalypse Now", lorsque le GI surfer est complètement abruti par tout ce qu'il a traversé et qu'il se roule dans la boue du village des cannibales.
Légèrement hagard, après avoir survécu aux ténèbres de la boîte, le bruissement des arbres, le chant des oiseaux me semblent une juste récompense. Pouvoir goûter au plaisir simple. Merde, je crois que je suis encore bourré.

Je me sens bien alors je commence à fredonner la chanson d'un groupe danois qu'une bonne âme m'a fait découvrir la veille. "Somersault" de I got you on tape. J'avoue que j'ai mis du temps à comprendre qu'en fait Somersault était le nom de la chanson et inversement. Et puis je dois reconnaître qu'à part le "And I never drank alcohol, and I never got high" de l'intro qui m'a marqué et m'amuse, je connais pas les paroles. Donc je chante en yaourt. Mais c'est cool quand même je trouve.

En passant devant une boulangerie me revient en mémoire ce discours que m'avait un jour tenu un pote. Comme quoi la plupart utilisent maintenant des diffuseurs d'odeurs pour attirer le chaland. Un peu comme le chant qu'utilisaient les sirènes pour séduire les marins dans ces légendes grecques que me lisait mon père. Vu que je suis plutôt à la dérive, je me dis que je risque pas grand-chose de plus et entre, introduit par le tintement de la porte. Je dois pas avoir bonne mine si j'en crois le regard que me jette la vendeuse. Je m'achète une pâtisserie et sort sans un mot.
Les efforts conjugués du soleil et de la fatigue me ramollissent comme le macadam. Je décide de me poser sur un banc pour savourer ma chocolatine en toute tranquillité. Une légère brise me caresse les oreilles. Je suis bien mais je me dis qu'on ne savoure ce genre de pauses que parce qu'elles sont rares, alors je me dis qu'il est temps de partir. Dans un ultime effort, je me décide à rentrer en  métro.

J'arrive sur le quai et comme un signe, le wagon semble m'attendre paisiblement. Dernière ligne droite. Je m'affale sur mon siège.
A la station d'après, une fille s'installe juste en face de moi. J'ai du mal à cacher ma stupeur quand je me rends compte que cette nana n'est nulle autre qu'une fille de mon ancien lycée. On en a tous connu une comme ça. Sophie, Laura ou Manon... Quelque soit son prénom, il y a dans chaque lycée une fille qui a le reste de l'école à ses pieds et le pire c'est qu'elle ne semble même pas sans rendre compte. Elle vit sa vie tranquille, avec ses copines, alors que tous les mecs la reluquent et que les nanas la jalousent. Et bien moi, même si j'avais beau me dire que c'était trop beau pour être vrai, j'avais Audrey sous les yeux. En chair et en os !
Elle m'adresse un sourire, je me demande si elle m'a reconnu. N'écoutant que mon cœur alcoolisé, je prends mon courage à deux mains en me disant que de toute façon je ne peux pas tomber plus bas et lui lance :
"Ecoute, je m'en voudrais toute ma vie si je ne te dis pas ce que je vais te dire. Au pire si ça te plait pas, je change de wagon dans la minute. Bon, je suis sûr que je te connais, c'est bien toi Audrey non ?"
Même pas surprise, elle acquiesce et m'avoue que mon visage lui semblait aussi familier. Je sais pas si elle a dit ça par politesse mais ça m'a fait plaisir c'est sûr. S'ensuit une discussion émaillée de rires dont je ne me rappelle plus les détails. Et puis quand je lui dis que je sors à République, elle me répond que ça tombe bien, elle descend là aussi.

A partir de là tout s'enchaine très vite. A peine est-on descendu du métro qu'elle m'attrape la main, se serre contre moi alors que nos lèvres se pressent l'une contre l'autre comme si on était sur le point de mourir. Encore une fois j'ai du mal à réaliser ma chance. J'ai d'ailleurs à peine le temps de savourer ce moment de félicité que l'alarme du métro me ramène à la réalité. Ca m'apprendra à m'endormir sur mon strapontin. Pour le moment encore, tout ça est trop beau pour être vrai.

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I got you on tape est un groupe danois qu'un pote m'a fait découvrir il y a à peine deux jours et qui pourtant date de 2004. Comme quoi il y aura toujours des petites pépites qui restent solidement incrustées dans le lit de cette grande rivière qu'est la musique indie.
La recette du groupe est assez connue mais terriblement efficace. Des voix hypnotiques qui viennent se poser doucement sur une musique aérienne, des guitares lancinantes, des synthés lumineux... Pas grand chose de nouveau à l'horizon c'est sûr, mais il n'empêche que le faux rythme qui s'installe au fil de la chanson nous fait sentir aussi léger qu'une plume. Un conseil, attention au décollage.




1 commentaire:

  1. Bon eh bien je pensais trouver une explication à un silence et une disparition soudaine, mais le mystère restera... Les effets du cognac ou de retrouvailles sur le quai d'un métro sans doute :-)

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