samedi 25 décembre 2010

Un conte de Noël


Attention rien à voir ici avec le film de Desplechin. Pas de tragédie familiale en vue, pas d'analyse sirupeuse des rapports père-fils et des Oedipe non réglés. Il ne s'agit ici rien de plus que des atermoiements typiques de la vie en entreprise, les banalités navrantes d'une boîte qui aime à se penser comme une famille. Tu parles ! T'as envie de coucher avec un des membres de ta famille toi ?
Car c'est dans cette histoire mon cas. Depuis quelques jours je traîne mon spleen dans les couloirs de la boîte à la recherche de cette fille qui me manque tant comme diraient les emos d'Indochine. Profitant de chaque pause, et dieu sait qu'elles sont nombreuses ces derniers temps, je scrute les couloirs, guettant son passage. J’en suis arrivé au point où j’essaie de partir en même temps qu’elle pour pouvoir la croiser dans l’ascenseur. Bien sûr lorsque cela arrive je lui adresse à peine la parole mais bon, le silence qui s’installe reste un substitut acceptable à mon désarroi amoureux. Et puis rien ne m’empêche de la mater du coin de l’œil…

OK je sais que présentée de la sorte, la situation a quelque chose de désespérée voire de perverse mais je vous assure que dans ma tête, il ne s'agissait rien de plus que d'une quête amoureuse avec tout ce qu'elle a de romantique... et de pathétique. Forcément.
D'ailleurs je n'ai plus les statistiques en têtes mais je sais que le nombre de relations amoureuses qui ont commencé au boulot sont plus élevées qu'on pourrait le penser. En même temps, ne nous voilons pas la face, une fois sorti du sérail de la fac ou de l'école, il ne reste plus beaucoup de terrains de chasses. Les couples ont de plus en plus tendances à faire des soirées couples et toi tu te retrouves comme un con à trainer dans les bars avec le reste de tes semblables.

Changement de décor. Dans ma chambre, King of the Beach des Wavves en fond sonore. Sans conteste la meilleure chanson d’auto-motivation de l’année. Ouais mec, c’est moi le king of the beach. Une goutte de parfum plus tard, j’apporte la touche finale à un ensemble qui doit selon mes prévisions me permettre de concrétiser enfin avec Mathilde F (soucis d’anonymat oblige), la fille en question. J’ai mis mon caleçon fétiche, ma chemise fétiche et mon jean fétiche. Qui a dit que fétichisme et romantisme ne faisaient pas bon ménage ?
Ca ne vous est jamais arrivé d'entamer une soirée gonflé à bloc ? D'y aller mu par je ne sais quelle certitude que ce soir là, quelque chose de spécial va arriver. Que vous allez enfin conclure avec la personne que vous convoitez depuis déjà un moment ? Ou qu'à défaut vous aller choper un(e) inconnu(e) qui passera par là ? Moi ça doit bien m'arriver plusieurs fois par mois. Eternel optimiste que je suis ! Et pour un résultat souvent inversement proportionnel aux espoirs que j'y avais placé. C'est-à-dire keutchi, comme dirait ma grand-mère. Et pourtant à l'instar d'une mouche qui se cogne inexorablement contre le carreau d'une vitre mal lavée, je retombe chaque fois dans mes travers. Ce soir ne déroge pas à la règle. Oui, ce soir je le sens bien. A nouveau.

D’habitude Noël dans la boîte, c’est un pauvre sapin et des cadeaux pour les enfants. C’est aussi open bonbons et un peu de cidre mais pas plus, histoire d’éviter les débordements. Bordel ils pensent un peu aux célibataires et à ceux qui sont restés bloqués à la vingtaine ? Ceux pour qui manger une tranche de cake avec une ribambelle de bambins autour est loin d’être la conception qu’ils se font d’une bonne soirée.
Pourtant cette année, c’est différent. La boite venant de se faire rachetée, une grande soirée est organisée pour permettre à chacun de connaître ses nouveaux collègues. Du team building comme ils l’appellent. Moi du moment qu’alcool et musique sont aux rendez-vous j’appelle ça comme vous voulez. Je suis même prêt à me faire racheté chaque année si ça doit nous permettre d’organiser des grands raoûts à chaque fois. Et multiplier ainsi les occasions de voir Mathilde F…

Je mets mon cuir. Cendrillon est prête pour aller au bal. Je suis dans le métro et une inscription taguée prêt de la porte du wagon m’interpelle. "On dit qu'un sourire vaut plus que de l'or alors rendons nous riche." Je regarde la dame en face de moi. La cinquantaine. Elle tire une tronche pas possible. OK.

Le Globo. Déambulant parmi une assemblée de visages qui me semblent vaguement familiers alors que d'autres me sont carrément inconnus, je trompe mon ennui à coup de mousseux dégueulasse, piquant ça et là quelques coups de fourchettes dans des gâteaux tout juste passables. Tout en espérant atteindre un état minimum d'ivresse.
Ce soir, à défaut de grand bal de Noel, on assiste plutôt au grand bal des hypocrites où chacun revêt un masque de circonstance, un mélange de sympathie et de miséricorde... Sourires forcés. Et toi comme un con tu t’engages dans des promesses que tu sais pertinemment que tu ne vas jamais tenir. « Comment ça va toi ? On ne se voit plus ! Faut vraiment qu’on se fasse des dejs plus souvent. Je t’envoie un mail demain pour qu’on se cale ça ! » Et puis quoi encore…

Oups. A quel moment l'alcool a-t-il commencé à opérer un tel effet en moi ? J'étais pourtant nickel il y a quelques minutes alors que là je me noie peu à peu dans une vague de fumée et de stupre. J’essaie vainement de me débattre mais la noyade semble irrémédiable. Arghhhh Nico, il s'agirait pourtant d'éviter les débordements de la semaine dernière quand tu t'es désapé en un clin d’œil et as commencé à jouer de l'harmonica au beau milieu d’un repas tranquille.
Quand je vous dis que je suis comme cette satanée mouche qui se cogne irrémédiablement à la vitre.

Quelques verres de whisky plus tard, ma vessie se rappelle à mon bon souvenir. Direction les toilettes. La porte est fermée. Vu les gloussements et les gémissements qui en proviennent, je suis tenté de croire qu’un couple profite de l’intimité de la cabine pour s’adonner aux plaisirs interdits. Ce qui me rappelle d'ailleurs que je n’ai guère avancé dans ma propre quête. Il serait temps de se lancer. Quelques petits raclements de gorge plus tard, le couple se décide enfin à sortir. Sourire gênés. Bon ben on dirait que Mathilde passe une bonne soirée en fait…
“The plan was to drink until the pain over / But what's worse, the pain or the hangover ?” Ces paroles si justes du philosophe ès rap Kanye West résonnent dans ma tête. Il est temps de rentrer. Cette soirée ne m’offrira rien de bon, j'en suis maintenant certain. Autant éviter de se mettre minable devant toute la clique du management. Ou mieux vaut en tout cas garder ce plaisir pour une autre fois.
Retour à la case depart. Me voila de nouveau dans le métro. Mes gestes sont étourdis par les reliquats de l’alcool que j’ai ingurgité en début de soirée. Il est quand même cinq heures et quelques. Un vieux black est assis en face de moi. Mal rasé, il lit un petit bouquin dont les inscriptions sont en arabe et marmonne.
D’innombrables vaisseaux sanguins creusent de fins sillons dans le blanc de ses yeux. Une casquette de golf beige à liserée vert coiffe ce visage barré par des cernes qui semblent indiquer "oui les gars, je dois porter toute la misère du monde sur mon dos". Sentant sans doute mon regard appuyé, il lève la tête. Ca y est il va me jeter un regard de défiance. Mais en fait non, il me sourit. Bon, après tout rien à foutre de Mathilde F. Me voilà riche....

Joyeux Noël à tous !

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