lundi 22 juillet 2013

Calvi à bloc



Tu ne me vois pas ?

J'avais lu dans un sondage à la con qu'un festivalier sur quatre avait déclaré avoir déjà couché avec une inconnue. Et c'est engoncé dans cette certitude que j'avais adjoint à ma panoplie de hipster (espadrilles Pare Gabia, maillot de bain Lyle&Scott et marinière Farah Vintage), suffisamment de préservatifs pour éradiquer le sida en Afrique. Prêt à prendre d'assaut le théâtre Verdure, la plage Diesel in Casa et les salles à même la roche de chez Tao. Et il faut dire que ça part très fort à "Calvi on the Rocks".
Alors que le festival nourrit ses convives d'un mantra un peu cul-cul, "Vivez heureux aujourd'hui, car demain il sera trop tard", version balnéaire et sans naphtaline du sacro-saint "carpe diem", et que la chaleur assourdissante du mois de juillet vient ajouter son grain de sel marin, je me retrouve sans trop savoir comment ni pourquoi, les pieds dans l'eau, le verre de rosé à la main, à chiller comme ils disent si bien, écoutant Arnaud Rebotini mixer une electroclash qui paraitrait imbitable si elle était servie ailleurs que dans ce décor idyllique. Le tout entouré de toute la clique de la sainte Trinité Montana / Baron / Silencio que je retrouve la moue blasée en moins, les coups de soleil sur le nez en plus.
C'est dès lors c'est tout un bal de maillots de bains et lunettes de soleil qui s'anime de manière épileptique. Parfois, l'excitation fait bouger nos bras. Plus souvent, l'obligation d'avoir l'air de s'amuser, pour justifier les mois passés derrière son écran d'ordinateur à fantasmer sur la bacchanale qui s'annonçait. Alors l'alcool coule à flot, les corps se jaugent et se mélangent. Et tout le monde rehausse ses lunettes de soleil à l'approche des jolies filles dont chacun apprécie, en toute discrétion, les charmes estivaux. Car oui, Calvi, c'est un festival de musique électronique, vois-tu, mais c'est aussi des plages au sein desquelles le "J’aime regarder les filles", de Patrick Coutin prend tout son sens et ce serait franchement faire injure à la faune locale que de caser une petite sieste électronique au cœur de ce programme de fou, sans profiter, en fin esthète, du décorum environnant.
Le bruit assourdissant des enceintes se noie dans le brouhaha des gens et des vagues à mesure que l'on s'éloigne du sable. Chacun s'installe où il peut, le plus souvent attablé à des tonneaux installées pour l'occasion au beau milieu de l'écume laiteuse de la mer. Un mec crie "donne" au loin, sans que je puisse cerner l'objet de sa convoitise, un autre me dit qu'au vue des tenues des nanas de la plage le top "cropped" semble être le nouveau it de cet été alors qu'un nouveau converti utilise le mot "chiller" à tort et à travers. J'ai de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux, enivré par l'air iodé et le rosé que je tête religieusement depuis maintenant quelques heures lorsqu'un type tatoué m'accoste, à la recherche de "produits". Je lui réponds innocemment d'aller checker les cubis de rosé au Super U voisin. Réponse qui laisse de marbre mon nouvel ami, qui se fait subitement grave au moment de m'expliquer que l'after de ce soir se déroule "Chez Tao", précisant que le lieu a été découvert par un officier de Nicolas II, répondant au doux sobriquet de Tao Kereroff. Les quelques paroles qui réussissent à filtrer ensuite à travers le tamis de mon ivresse semblent également mentionner l'assassin de Raspoutine, sans plus de précisions sur le rôle de ce dernier dans cette histoire.
Et alors que je retourne sur la terre ferme à la recherche d'amis restés au chaud sur la serviette, m'apparait cette fille sur le visage de laquelle il m’est impossible de mettre un nom et sur le corps de laquelle il m’est impossible de mettre un visage. A cause du soleil couchant qui m'aveugle, un peu, et de l'alcool qui m'assomme, beaucoup. Elle me dit de la suivre et évite toute parole superflue, de façon à rendre le mystère un peu plus enivrant. Y'a ses omoplates devant mes yeux, qui clignotent sous les lampadaires de la cabane qui abrite le bar Havana Club, et ses cheveux mouillés qui se battent autour de son visage, elle est jolie et je suis saoul, elle me regarde et je souris, mais peut-être qu'elle me trouve juste ridicule, je sais pas, alors je regarde mes vêtements, et tout va bien, mis à part l'absence chronique de muscles.
Dans un regard entendu, on décide de quitter ce barnum et on longe le rivage, alors que tombe peu à peu le crépuscule, guidés par les lumières qui s'allument progressivement en ville. J'en oublie mes amis et mes premiers coups de soleil, le sel qui alourdit mon maillot et le sable qui me colle à la peau. J'en deviens un héros ordinaire, capable de porter tout le poids du monde à ses côtés, capable de prendre, surtout, la main qu'elle me tend alors que l'on grimpe dans un silence mutique les sentiers escarpés qui doivent nous mener chez Tao. Enfin arrivé à bon port, je m'arrête un instant, juste pour saisir la perfection de ce moment et contempler l'étendue de mes sentiments, niché tout en haut de la citadelle de Calvi, surplombant les éclairs de lumière qui lézardent la vieille ville et miroitent dans la mer. Conscient que rien ne peux m'arrêter dans cette fuite en avant. Surtout pas ce petit vieux auprès duquel je dois m'acquitter des droits d'entrées.
Une fois à l'intérieur, elle se retrouve par un ballet assez habituel entre le mur et moi et quand je l’embrasse, ou entre deux baisers, ou avant, elle me demande, t'entends c'est les Pachanga Boys et elle murmure "lost track of time". Ce qui n'est pas loin d'être vrai parce que ça fait bien deux heures qu'on est ensemble, seuls au milieu de ce maelstrom humain. Preuve que les choses se passent plutôt bien. Je glisse encore ma main contre son cœur et nous nous embrassons encore, et je me sens léger, et je ne veux pas croire que c’est l’alcool… Alors je lui propose de nous commander des verres au bar. Elle me répond "OK" d'une voix contralto, presque masculine, précisant qu'elle prendra un "Old Fashionned" et je m'arrête un peu étonné, même si je trouve que ça lui va bien, cette boisson un peu surannée, à mille lieues des mixed-drinks à la con qui pullulent de nos jours. Au bar, c'est la cohue et fatalement, je commence à m'énerver, après quelques longues minutes d'une attente d'autant plus insoutenable qu'elle me sépare à la fois de mes rafraîchissements et de ma beauté extrasystolique. Et comme plus tôt, les corps se jaugent et se mélangent. A ceci près que l'allégresse générale a cette fois disparu pour laisser place à une atmosphère chargée d'acrimonie, alors que la fatigue tire les cernes de chacun vers le bas et l'impatience vers le haut. On se frotte, on s'alpague et on se bouscule. Sans préavis aucun, un type me jette son verre à la gueule. Alors que je rassemble le peu de force qu'il me reste pour m'essuyer le visage, je me dis que la commissure de mes lèvres a un goût sacrément salé. Et j'ai de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux…
Le ressac de la mer me sort de ma torpeur éthylique. Le soleil cogne toujours aussi fort sur la plage et la musique d'Arnaud Rebotini retentit toujours. On me tend un verre de rosé. Décidément, ça part très fort à Calvi. 

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Petit condensé enrobé de fiction de 5 jours de folies rythmés par pas mal de musique, beaucoup de ciabattas et énormément d'alcool.



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