samedi 20 février 2016

Bandini dans l'âme


"Et toi comment ça va", elle me demande. Le genre de question ouverte qui a en temps normal le chic pour me mettre mal à l'aise. Parce que j'arrive à parler bien de tout, sauf de moi. Parce que j'oublie volontairement l'anecdotique et élude ce qui me semble relever du détail, préférant me concentrer sur les très grandes lignes, de peur de soûler l'autre... Et j'élague tellement que j'en arrive, le plus souvent, à une réponse qui se résume à un "ça va bien et toi ?" des plus laconiques. Une concision que mes interlocuteurs assimilent au mieux à de la paresse. Du désintérêt, au pire.

Mais pas cette fois. Il faut dire que mes récentes déboires m'avaient donné de quoi squatter le temps de parole allègrement et saupoudrer la discussion des détails chocs de mon accident de voiture. Des détails dont j’espérais qu'ils réussiraient à provoquer cette petite moue que j'avais décelée chez elle, dès le premier jour de notre rencontre dans un bar tropical du 11eme. Ces lèvres scellées qui s'étiraient vers la gauche de sa bouche dans un mouvement d'incrédulité aussi sensuel qu'innocent. Un alanguissement qu'elle concluait le plus souvent par un petit gloussement, un rire nerveux qui faisait sautiller jusqu'à sa frange et la choucroute de cheveux qui couronnait le sommet de son crâne.

Alors je lui raconte comment j'avais été surpris par la patience du cerveau humain, étendu sur mon brancard dans le hall des urgences d'un bled de Picardie, comme un personnage de Buzzati qui attend dans le désert des tartares des hostilités qui ne viendront jamais. Fixant pendant plusieurs heures ce plafond maculé de tâches, seul écran qui s'offrait au mec alité que j'étais. Accompagnant religieusement les révulsions de ce mouton de poussière qui s'agitait dans un coin et dans une cadence qui restera, longtemps après, encore ancrée dans mes synapses.

Et puis je lui dis que j'ai beaucoup pensé, aussi, à mesure que le temps se dilatait. A mon grand-père décédé il y a quelques mois, alors que les septuagénaires accidentés des maisons de retraite défilaient aux urgences dans un bal de brancards que les infirmiers pilotaient mécaniquement. Le naufrage de la vieillesse et l'indifférence de la jeunesse.

A elle aussi bien sûr. A cet alignement soudain des planètes qui nous avait fait nous rencontrer dans des circonstances étonnantes, alors qu'elle habitait maintenant un appart' paumé dans le 15eme. Elle qui avait pourtant passé des années comme ma voisine de quartier, me donnant quelques trop rares matins, le loisir de la lorgner du coin de l’œil dans le métro. Sans que je me donne pour autant la peine, ou soyons honnête, le courage, de lui adresser la parole.

A notre premier rencard du côté de la Butte aux Cailles. Les verres qui s’enchaînaient sans que je puisse me décider à esquisser une avance. A cet instant où je lui détaillais cette pub pour Lacoste que vous avez sans doute tous vus, quand le mec emballe la fille sur fond de Disclosure. Parce que j'avais moi aussi à ce point le vertige que j'envisageais, une fraction de seconde, d'aller vraiment au bout de ma démonstration, alors que je mimais la posture du gars qui se lance à l'assaut de la bouche de la fille à peine sa main agrippée. Tout juste retenu au bord du précipice par la peur qu'elle me rie au nez.

A mon retour dans le 20eme, après l'avoir déposée chez elle d'une bise tout ce qu'il y a de plus chaste et à ce parapluie "magique" qu'elle avait laissé à l'arrière du taxi, dont les rayures blanches sur fond bleu marine épousaient une teinte rose à mesure que les gouttes de pluie en battaient la toile. Au sens que j'essayais de donner à cet oubli, forcément un acte manqué me disais-je, et au polochon que j'avais agrippé furieusement, tombant de fatigue et d'impuissance sur mon lit. A John Fante pour lequel on partageait la même admiration et qui dans "Demande à la poussière", maudit à l'identique et sur sa couche, un échec retentissant avec son obsession mexicaine Camilla.

A ces jours chaotiques qui avaient émaillé notre relation. Elle qui souffle le chaud et le froid, passant la nuit avec moi pour mieux me quitter d'une petite tape amicale. A l'alcool et aux réverbères qui noyaient son visage de lumière le soir où elle m'avait enfin fait monté chez elle. A peine le temps de grimper jusqu'au dernier étage de son immeuble et goûter ensemble à ce bout de Tour Eiffel illuminée dont je me disais par coquetterie qu'elle le gardait, jusque-là, pour elle seule.

Aux longues secondes qui s'en étaient suivies sans qu'aucun de nous deux ne ressente le besoin de parler. A la pensée sirupeuse qui s'était nichée dans un coin de ma tête, alors que je poussais l'audace jusqu'à l'agripper par la taille et faire surgir, un instant, le cliché du couple un peu cul-cul qui mate Paris avec l'aplomb des sentiments à peine éclos.

Au point final qu'elle avait dicté, dans la chaleur douce-amère d'un soir d'été, par un texto fleuve qui m'expliquait par a + b que ce n'était pas moi, c'était elle. Que les circonstances... Que c'était encore trop frais pour elle... Qu'elle avait besoin de se reconstruire... Qu'elle était vraiment nulle et s'en voulait. A tous ces innombrables messages que j'ai écrit, les semaines qui ont suivi... sans jamais me décider à les lui envoyer. Plus pour m'occuper l'esprit qu'autre chose. Au sentiment d'inachevé qui tartine désormais chacune de mes journées passées sans elle.

Elle, d'habitude si loquace, ne dit pas un mot. Elle se contente désormais de planter ses pics de forage, ses yeux à la couleur indéfinissable, dans les miens. Elle me regarde avec bienveillance et écoute religieusement la prière que je lui adresse. Cet Ave Maria qui est d'ailleurs le nom du bar dans lequel nous nous sommes rencontrés. Mais mon propos se perd peu à peu dans le bourdonnement de la salle, les verres tintent et les voix s'élèvent, alors qu'elle s'éloigne subitement, sans dire un mot et dans un puits de lumière. Phare vers lequel les échos de mes mots viennent désormais se fracasser.

Elle me dit que tout va bien, que tout s'est bien passé. Elle m'agrippe la main. Ou plutôt, on me dit que tout va bien, que tout s'est bien passé. Et on m'agrippe la main. On me dit aussi qu'on va m'amener en salle de repos, le temps de me remettre de l'opération. Quelques heures. Le temps sans doute que son visage se dissipe dans le brouillard des anesthésiants, sans que je n'y puisse rien... Mais  qu'importe car je me promets que dès que je serai remis sur pied, j'irai lui parler. 


mercredi 26 février 2014

J'aime regarder cette fille



Je me suis retrouvé embarqué dans ce béguin comme un Bardamu qui s'escrime avec son barda dans les tranchées. Par ce genre de concours de circonstances qui te font te retrouver rue Tiquetonne, dans ce refuge pour oiseaux de nuit qu'est le Next, melting-pot bigarré où cohabitent indifféremment ceux qui érigent le col pelle à tarte en dogme vestimentaire et ceux qui cultivent leur petit style hipster urbain à coup de visites chez Citadium.

A peine le temps de poser mon manteau que je la vois émerger de la marée de corps qui aimantent la piste tout en déhanchements. Et c'est d'autant plus difficile pour moi de croiser ses yeux noisette que j'ai traversé la journée comme un zombie ; cloué au lit par une grippe qui laisse une dernière trace de son passage dans les cernes qui habillent mes globes oculaires. Et c'est d'autant plus difficile de soutenir ce regard que j'ai l'impression qu'il procède à un inventaire lorsqu'il se pose sur moi, alors que je commence à regretter amèrement un choix vestimentaire qui me paraissait audacieux quelques heures plus tôt, mais à peine supportable maintenant. Et c'est engoncé dans mon petit pull à rayures bleu marine et ma superficialité chronique (Pourquoi se mettre dans un tel état pour un pull ? Regarde comment ton coloc' est sapé) que je me résous à rejoindre l'assistance, prêt à adopter une stratégie qui à défaut de faire ses preuves m'a toujours rassuré : siroter le bar jusqu'à la dernière goutte.

Mais tous mes petits calculs sont mis à mal lorsque je me retrouve à commander quelques verres au comptoir et qu'elle est à moins de 30 centimètres de  moi, alors qu'il est bien trop tôt pour lui parler, même pas minuit rendez-vous compte, alors que je n'ai pas encore eu le temps de tabasser ma timidité chronique à coups de whisky. Et me voilà qui repense à Bardamu, à l'une des toutes premières scènes du "Voyage au bout de la nuit" où il se retrouve complètement paniqué, les balles qui sifflent entre les oreilles, aux côtés d'un colonel lui-même impassible. Ici, le danger vient moins des armes que des mots qu'elle prononce, des mots qui viennent, à leur tour, siffler entre mes oreilles. "Qu'est-ce que tu bois ?" Comment expliquer que la réponse à cette question tout ce qu'il y a de plus anodine se cramponne (un peu trop) longtemps à mes amygdales ? Entre nous, j'aimerais pouvoir invoquer la grippe qui m'a taquiné ces derniers jours et plaider un affaiblissement temporaire de mon système nerveux au point de me retrouver dans l'était d'esprit prostré qui précède tout mirage amoureux. Mais bon on n'est pas dans le Malade imaginaire et il s'agit de se prendre en main comme tout grand garçon qui se respecte. Alors au prix d'un effort qui me semble surhumain, je déglutis mon appréhension et  lui répond que je vais me laisser tenter par un whisky-canada dry. Comme je suis pudique, je vous épargne les quelques banalités qui ont suivi et je vous précise juste qu'elle a opté pour un whisky « on the rocks » et que, dans ce qui me semblait être sur le moment une bonne inspiration, je lui ai répondu que c'était classe, et trop rare, une fille qui buvait du whisky « on the rocks ». Et dans ce qui m'a semblé durer une éternité, elle a répété, dubitative, "classe et trop rare…" Séduction : 0 Misogynie : 1.

Le show continue et comme toujours il s'agit d'avoir l'air de s'amuser, d'être épanoui, joyeux, heureux, radieux et j'arrête là avant d'être à court d'épithètes. Alors je succombe à la tyrannie du cool et m'habille de mon plus beau sourire pour lui parler, vite, d'elle, de sa vie, de sa futur coloc' et de son déménagement qui s'annonce. Et je bois, encore, et j'essaye de voir le verre à moitié plein, alors que je trimballe continuellement mon verre à moitié vide. L'esprit qui s'accroche à la nécessité de calmer tout ça, calmer ce feu, cet incendie qui s'allume dans mon cœur et l'arroser d'alcool. Discuter. Avoir l'air confiant. Détendu. Blabla d'une petite dizaine de minutes. Juste le temps de réaliser, alors que je vois les types l'aborder avec une facilité déconcertante, que mon romantisme névrosé s'accommode mal de ce genre de conversations anodines, ces "small talks" comme disent les américains. Je suis même mauvais, disons-le carrément. Il y a elle, il y a moi mais j'ai peur d'un "nous". Et il y a mon coloc' qui me demande :

- Qu'est-ce que tu fous ? Arrête de la mater comme ça et va lui parler !
Et je m'entends lui répondre d'une voix blanche :
- Tu sais, le temps qui passe, la vie, font très bien ce genre de travail, rapprocher les gens, les séparer…
- Mais tu t'es mis combien de pintes dans la tête ???
Imperturbable :
- Moi je ne fais rien, je ne quitte jamais, on me quitte, je n'aborde jamais et on m'aborde.
- Pas souvent… 

C'est vrai. Pourtant je reste là statique, me contentant de regarder sans toucher. Je la vois, lascive, qui parle à ce mec col pelle à tarte (je vous le disais bien!) et je me noie dans les reflets des néons qui habillent sa peau d'une teinte mordorée, dernier vestige d'un été que mon imagination paresseuse lui fait passer sur une plage de Santorini, rapport à ses origines grecques. Je m'imagine passer minuit dans ses bras. Je la scrute : elle et son petit chignon qui rehaussent ses traits juste ce qu'il faut, elle et son petit haut noir échancré là où il faut... Elle et ce visage qui emprunte à Mila Kunis des pommettes apaches qui me font fondre sur place, le verre à la main et le cœur en bandoulière. Mais surtout je la vois qui donne son numéro au type dont je vous ai parlé plus tôt. Et je me surprends à prier de toutes mes forces pour que cette suite de 10 chiffres qu'elle vient de lui communiquer sonne tout sauf juste.

Dehors, alors que la nuit baisse son rideau de fer sur les paupières des derniers fêtards, mon coloc interrompt ma prière mutique et me dit qu'il est temps de partir. Alors que j'emballe mes regrets en même temps que je récupère mes affaires aux vestiaires, je la revois fendre la foule direction la sortie. Seule et habillée d'une simple veste d'été. Je me dis que je pourrais lui proposer mon blouson en cuir. Juste parce que j'ai envie qu'elle succombe au piège de la petite chose qui frissonne parce qu'elle a froid aux épaules. Ce qui, avec les sous-titres, signifie plus ou moins : "J'ai froid au vagin". Ce qui avec un peu de chance peut signifier que je pourrais passer le reste de la nuit dans ses bras. Mais je ne le fais pas. Peut-être une prochaine fois. 



dimanche 1 décembre 2013

Baisers volés




Je l'avais retrouvée, yeux bleus azurs plongés dans un cocktail baptisé "Secousse", un mélange de jus de bissap, de vodka et concombre qui excite autant les papilles qu'il ne lui troublait la vue, à mesure qu'elle effectuait des aller-retour en direction du bar. Seule dans ce puit de lumière situé au détour d'une grande salle parsemée de fauteuils et autres objets chinés entre Berlin et Bamako, elle prenait les allures d'un phare vers lequel je ressentais le besoin irrépressible de venir me fracasser. Parce que, tu vois, il fallait absolument que je remédie à cette soirée d'anniversaire, il y a presque deux ans, où une fois salués les quelques amis présents et évités les excités à la Jagerbomb qui gueulaient la bouche grande ouverte, je n'avais pas su saisir le peu de courage que l'alcool me donnait pour venir lui parler. Me contentant par la suite de stalker sur Facebook les rares photos que son compte m'autorisait à regarder, alors que ses vacances romantiques à Rome me tapissaient la rétine d'un sentiment qui louvoyait entre l'envie et la jalousie. Disons-le nous franchement, j'ai toujours aimé les situations torturées. Mon petit côté Jay Gatsby des temps modernes sans doute. Le faste en moins. Et il faut bien admettre que je me suis souvent accroché à des possibilités de relation, dussé-je végéter loin des vagins et succomber aux détours de l'onanisme, dans l'attente d'une promesse qui, les jours passants, semblait de plus en plus illusoire. Plus crève-cœur que bourreau des cœurs quoi. En me disant qu'au pire j'en avais rien à branler des trucs de couples… Prêt à sceller mon destin amoureux d'une simple épitaphe : "Qui m'aime me suive". Quitte à traîner mon petit spleen dans les soirées en regardant tous ces couples se faire des smacks comme on en voit dans les "Z'amours".

Donc, comme je te dis, je l'ai enfin revue. Elle était un peu bourrée et ne nous en cachons pas, j'en ai sans doute profité. Je sentais que pas mal de barrières étaient tombées entre nous à coup de "Secousse", conscient que la partition est forcément plus facile à jouer dans ces cas-là. Et comme j'avais appris, entre temps, qu'elle était à nouveau "sur le marché", je n'avais aucun mal à comprendre ce que signifiaient ces regards qu'elle me jetait, parfois à la dérobée, souvent bien appuyés. Et je me disais que ces doigts qui s'attardaient sur mes épaules, parfois carrément sur mes fesses, alors qu'on avait commencé à discuter, étaient une invitation on ne peut plus explicite. Alors, je me suis dit qu'il était temps de donner une nouvelle impulsion à tout ça et je lui ai proposée d'aller au Rouge et, tu sais, là-bas ça puait les années 80, airs faussement blasés, lunettes écaillées, chevelure improbables et nanas qui te regardent comme pas possible parce que t'as dû oublier qu'aujourd'hui les pantalons se portaient en 7-8eme, chino de préférence et que ta mèche doit savamment rehaussé les traits de ton visage, plutôt que de venir s'échouer misérablement sur la ligne de ton front, aimantée par la sueur qui s'étiole de ton cuir chevelu. Mais bon tout ça je m'en foutais, c'était juste le temps de prendre un verre et d'en arriver à la conclusion qui s'imposait dès l'instant où j'avais posé les yeux sur elle. D'ailleurs elle m'a rapidement proposé d'aller chez elle et j'ai dit en rigolant qu'il me fallait vraiment une bonne raison pour partir en banlieue. Elle a hélé un taxi et j'ai suivi. Fallait croire que j'en avais une…  

Le taxi, le silence et elle, qui agrippe ma main avec une ferveur qui ne s'est pas démenti les 20 minutes qu'ont duré le trajet. A peine le temps de saluer le chauffeur, on est descendu une centaine de mètre avant d'arriver à destination parce qu'elle avait envie de se dégourdir les jambes et j'ai passé outre cette excentricité pour garder mon bras dans le bas de son dos, son visage balayé par les candélabres qui pissaient dans les rues de Clichy. Conscient qu'on n'était pas trop mal, deux oiseaux de nuits qui font brillonner le bleu qui bat dans leurs artères, le temps d'une danse qui s'est prolongée chez elle jusqu'au petit matin.

Une fois passées les quelques secondes qui m'ont permis au réveil de reconstituer le fil de la soirée, je pose mon regard hors du lit et la vois, en culotte, qui me tourne le dos. Elle se rhabille nerveusement, dans ce relent de pudeur qui suit souvent les rencontres d'un soir, quand chacun essaye de rassembler le plus rapidement possible les vêtements éparpillés aux quatre coins de la pièce alors qu’ivresse rimait encore avec fesses. Elle me sourit et me dit « Ca va ? ». Et je lui réponds tout simplement « Ca va ». Plutôt content qu'aucun malaise ne subsiste entre nous, parce qu'elle n'a pas ressenti, pas plus que moi d'ailleurs, le besoin de prétexter un déjeuner, pour s'éclipser. Cartes sur table. Et j'ai à ce point les coudées franches que quand elle me propose de petit-déjeuner, je repense à cette scène de "Baisers volés" où Christine explique à Antoine comment beurrer les tartines sans les casser. "Je t'apprendrai tout ce que je sais, par exemple le coup de la biscotte et puis toi, en échange, tu m'apprendras ce que tu sais, hein ?" Et là, sous le regard amusé des deux poissons rouges avec lesquels elle partage le salon, je suis pas loin de me dire que j'aimerais moi-même lui apprendre quelque chose dont elle se souviendrait toujours. Sans pour autant trop savoir quoi. Conscient néanmoins que j'ai toute la matinée pour y penser. Car elle vient tout juste de me proposer de regagner la couette. Ca va. 



vendredi 11 octobre 2013

Na svidenje





Soirée d'août à Ljubljana, festival France Preseren. Je t'arrête tout de suite, rien à voir avec l'Hexagone, c'est le nom d'un poète local. Bon y'a quand même cette Française sur scène, qui chante en anglais et gesticule tellement qu'elle pourrait en donner le tournis à un épileptique. C'est un peu Bjork qui rencontre MIA et Izia dans ce petit bout d'1m60, à vue de nez. Le tout saupoudré d'une instru qui flirte parfois d'un peu trop près avec Ushuaïa... C'est plutôt décousu mais c'est sympa. Elle s'appelle Louise et nous annonce le nom de son groupe, le Vasco, alors qu'elle se décide enfin à laisser tomber des lunettes de soleil rendues superflues par l'heure avancée de la nuit. Des lunettes dont on devine cependant l'utilité alors qu'elles laissent découvrir d'épais sourcils et des paupières à moitié closes.

J'abandonne ce visage de poupin dans la pénombre pour me concentrer sur la foule, compacte, et l'ambiance, un peu tiède, si l'on fait abstraction des quelques types qui ont trop bu. Après désamorçage des blondes et dissipation des brunes, ne reste plus que cette fille aux cheveux châtains, pommettes apaches et frange impavide. Force est de constater que je suis pas loin du coup de foudre au premier regard. Et je peux vous assurer que tous ceux qui suivent ne font que confirmer la première impression, à mesure que ses traits, ses gestes s'installent dans ma tête comme une petite mélodie dont les seules premières notes suffisent à transformer mon hémisphère droit en un CD une piste. Chemisier blanc à col claudine noir, bottines en cuir et tatouage sur l'avant-bras, je fredonne ce petit air slovène dans ma tête jusqu'à en oublier Le Vasco. Ne m'en manque plus que le titre.
Et comme je suis à moins de 20 battements de cœur d'elle, je fends la meute qui m'entoure sans y réfléchir et décide d'opter pour l'une des techniques d'approches les plus ringardes qui soient, lui demandant de tenir mon verre l'espace d'une seconde, juste pour pouvoir l'entrechoquer avec celui que je tiens dans mon autre main. "On trinque à quoi ?", je lui demande. Ce qui dans mon anglais mal assuré donne, "What are we celebrating ?". D'ailleurs vous avez sans doute remarqué comme moi que les personnalités de chacun diffèrent en fonction de la langue qu'ils pratiquent à un instant T. Volubile en français, toujours prompt à jouer avec les mots pour essayer de convaincre ma cible du bien-fondé d'entamer une relation sexuelle avec moi, j'ai toujours été beaucoup moins avenant en anglais, sans doute parce que les limites de mon vocabulaire dans la langue de Shakespeare m'obligeaient à la concision. De telle sorte que je mise plus souvent sur ma maladresse pour attendrir, espérant que l'accent français fera le reste. Dans le cas présent, je me rends compte que les nombreuses lasko pivo éclusées ont sensiblement réduit la barrière de la langue… et je me sens prêt à tenir conciliabule avec la reine d'Angleterre en personne.
Amarrage réussi. Je m'accroche tant bien que mal à cette bouche lippue qui oscille entre moue badine et sourire enthousiasmant et fais face à une interlocutrice amusée par ce pauvre Français qui se tient face à elle. Tout se passe bien même si je regrette que sa bienveillance essaime une discussion un peu trop amicale à mon goût. On parle de tout et de rien. Surtout de rien parce qu'il est difficile de communiquer lorsque la vague de BPM qui déferle des enceintes vous perfore les oreilles à ce point. Louise a laissé place à un émule de Jackson, sans son Computer Band, mais avec un Arp #1 qui réduit à néant toutes mes velléités de conversation. L'atmosphère a clairement basculé. Le bon enfant a laissé place au bon n'importe quoi. Mais peu m'importe que j'ai de plus en plus de mal à distinguer son visage à travers les volutes de fumées qui s'élèvent à mesure que bat le beat, j'ai enfin décroché son nom, A.... Oui je le garde pour moi.
La chaleur ramollit la piste et les cerveaux alors que le DJ lance judicieusement un remix de Disclosure par Flume sur lequel la foule alanguie vient s'échouer en slow-motion. Je rythme mes pas sur les cadences dub-step du morceau, je l'attrape par les hanches en lui balançant mon sourire le plus niais, toujours résolu à jouer la carte de l'empathie. Et c'est parce que tout se passe bien et que l'ambiance est si prometteuse que je me sens gagné par le même sentiment que j'éprouvais petit quand j'approchais de la fin d'un de ces livres de la comtesse de Ségur que je dévorais : une joie tellement marquée par la conscience de sa brièveté que je mangeais à toutes petites bouchées chacun des mots qui composaient le dernier chapitre, faisant durer ma lecture le plus longtemps possible. De là même manière, au lieu de voir où la fin de soirée nous mènera, je décide d'en rester là, d'en garder pour plus tard… Me contentant d'un petit baiser tout ce qu'il y a de plus prude, juste à la commissure des lèvres. De quoi laisser sur ma bouche un petit goût d'inachevé pas forcément déplaisant. De quoi, surtout, m'endormir à l'arrière de la voiture qui nous ramène à Metelkova, les paupières appesanties par l'alcool et les zygomatiques en extension alors que son "Na svidenje" résonne encore dans le creux de mon oreille. Et dans la tête une petite mélodie intitulée A....



jeudi 29 août 2013

A prestu



C'est comme si les deux mois qui viennent de s'écouler avaient sédimenté dans le fond de son verre, alors qu'il est attablé au petit balcon du restaurant dans lequel il a l'habitude de conclure chacun de ses étés et que Jean-Louis, le patron enjoué d'"A Scaletta", l'enjoint à trinquer une énième fois. Installé au cœur même d'un immeuble ancien, l'échoppe bastiaise ne paie pas de mine pour qui ne sait pas voir au-delà du charme un peu désuet de l'appartement qu'elle occupe. Et pourtant Matthieu se dit que les sardines au brocciu qu'il déguste en ce moment même, alors qu'il surplombe le vieux port, pourraient justifier à elle seule la traversée de la Méditerranée. 

Et comme il en a cultivé l'habitude, il s'abandonne à un petit inventaire estival en dégustant sa Pietra et forcément il se remémore les innombrables soirées passées avec son meilleur ami et les nombreuses rencontres nouées à cette occasion, avec des filles surtout. Des filles qu'ils emmenaient prendre des bains de minuits dans l'eau cristalline de Palombaggia et ramenaient parfois au village de ses grands-parents, les raccompagnant avant l'aube, juste pour avoir le temps de déguster un café sur le port de Porto-Vecchio, alors que l'horizon s'embrase tout doucement et que les paquebots déchargent déjà leur monstrueuse cargaison de chair fraîche parfumée à la crème solaire. Il y avait toujours du monde, beaucoup de monde. Des shorts qui suintent, des tongs qui crissent et des cris d'émerveillements qui se mêlent aux remarques les plus stupides. Il y avait de la vie, trop de vie. Et ils ne pouvaient s'empêcher tous deux d'observer cette foule grouillante avec un indicible sentiment de supériorité, certains qu'ils n'étaient pas faits comme tous ces nouveaux arrivants, ces "Gaulois" avec lesquels ils partageaient tout juste une proximité géographique, 10 mois dans l'année. Sans doute parce qu'ils s'estimaient chez eux, conscients qu'ils allaient retrouver plus tard la quiétude de Sartène au détour d'une départementale montagneuse encadrée de rochers rouges et de pins parasols. 

Et qu'importe s'ils savaient que l'aventure prendrait fin deux mois plus tard. Qu'importe si Matthieu se savait condamner à l'exiguïté de sa studette parisienne. Car cette île qu'il avait adoptée il y a maintenant quelques années, cette île sur laquelle il avait connu autant de joies que de peines, expérimentant les difficiles tourments de l'adolescence, s'était progressivement mue en un sanctuaire dont il avait épousé les moindres aspérités. Jusqu'à ces intonations, un peu forcées, et donc un peu ridicules qu'il lui arrivait encore de perdre au détour d'une phrase, rougissant l'espace d'une seconde, avant de reprendre en avant sa loghorrée identitaire. Mais cet accent, oscillant en l'impavide et le dilettantisme, plus que tout il s'y accrochait, car empreint d'une sagesse millénaire à laquelle il ne pensait jamais pouvoir goûter autrement. Bonifacc', Porticc', Proprian'... Combient de fois s'était-il entraîner à répéter seul devant sa glace, dans un silence presque mutique, ces noms de villes annonciateurs de bien des joies ? Combient de fois avait-il écouté religieusement son oncle Ange égrener ces sonorités alors qu'il l'abreuvait d'histoires aux sujets de ces étrusques, gênois et autres, qui avaient tous à leur manière contribuer à construire cette identité corse sur laquelle Pascal Paoli avait enfin pu mettre des mots, au détour d'une constitution ? Et puis, lui expliquait son oncle, les Corses n'étaient-ils pas, après tout, les premiers à avoir accordé le droit de vote aux femmes ? Etait-ce un hasard si aux Etats-Unis pas moins de cinq ville portaient le nom de Paoli City ? Qu'importe les livres d'histoire, ce n'était pas la révolution française qui avait nourri l'indépendance américaine sinon la république démocratique corse. 

Et Matthieu d'acquiescer d'autant plus benoîtement que lui même estimait devoir beaucoup à cette île de Beauté qui lui avait pris jusqu'à sa virginité. D'ailleurs il s'en rappelle comme si c'était hier. Elle l'avait rejoint une nuit comme tant d'autres où, campant avec des amis dans le maquis, il s'était abandonné à l'ivresse de l'obscurité, forcément un peu soûl, à contempler la barricade des montagnes qui lui dissimulaient le grand large et le ciel constellé d'étoiles. Il entend encore Claire se glisser à côté de lui et respirer lourdement alors que son sourire et ses yeux brillent dans le noir comme une promesse qui l'émut subitement. Il savait à ce moment-là qu'il lui suffisait de tendre la main et de la frôler pour que quelque chose se passe alors, tout naturellement, il avait avancé lentement la main et touché la joue de Claire qui, tout aussi naturellement, avait baisé son poignet et pressé son ventre contre le sien, en profitant au passage pour passer sa jambe par-dessus les siennes, pour qu'il vienne un peu plus près et qu'elle puisse l'embrasser de toutes ses forces. Une fois l'étreinte amoureuse consumée, il s'était contenté de fermer les paupières, laissant l'obscurité lui murmurer au creux de l'oreille des secrets enfouis dans la roche calcaire depuis trop longtemps alors qu'il écoutait de façon compulsive les cordes de "The Soft Voice Dies", jusqu'à ce que la petite voix d'Apparat se tarisse dans le crépuscule de son sommeil, quand tout le maquis n'était plus que murmures et rires étranglés. Il pouvait alors abandonner les sentiers du Mare Monti qu'il avait parcourus durant la journée, Bisinao, Porto Pollo et autres, pour vagabonder sans fin sur ceux, construits par son imagination adolescente. 

Mais aujourd'hui l'adolescent est un jeune homme qui scrute les derniers estivaliers d'un regard qui louvoie entre la bienveillance et la condescendance. Il échange quelques mots avec Jean-Louis dans un accent devenu naturel, poli par les années comme la roche des côtes l'est par ce sel marin dont il humecte le bout de sa langue, en frissonnant d'impatience. Sans doute parce qu'il sait que les choses reprendront leur cours normal dans 10 mois.


lundi 22 juillet 2013

Calvi à bloc



Tu ne me vois pas ?

J'avais lu dans un sondage à la con qu'un festivalier sur quatre avait déclaré avoir déjà couché avec une inconnue. Et c'est engoncé dans cette certitude que j'avais adjoint à ma panoplie de hipster (espadrilles Pare Gabia, maillot de bain Lyle&Scott et marinière Farah Vintage), suffisamment de préservatifs pour éradiquer le sida en Afrique. Prêt à prendre d'assaut le théâtre Verdure, la plage Diesel in Casa et les salles à même la roche de chez Tao. Et il faut dire que ça part très fort à "Calvi on the Rocks".
Alors que le festival nourrit ses convives d'un mantra un peu cul-cul, "Vivez heureux aujourd'hui, car demain il sera trop tard", version balnéaire et sans naphtaline du sacro-saint "carpe diem", et que la chaleur assourdissante du mois de juillet vient ajouter son grain de sel marin, je me retrouve sans trop savoir comment ni pourquoi, les pieds dans l'eau, le verre de rosé à la main, à chiller comme ils disent si bien, écoutant Arnaud Rebotini mixer une electroclash qui paraitrait imbitable si elle était servie ailleurs que dans ce décor idyllique. Le tout entouré de toute la clique de la sainte Trinité Montana / Baron / Silencio que je retrouve la moue blasée en moins, les coups de soleil sur le nez en plus.
C'est dès lors c'est tout un bal de maillots de bains et lunettes de soleil qui s'anime de manière épileptique. Parfois, l'excitation fait bouger nos bras. Plus souvent, l'obligation d'avoir l'air de s'amuser, pour justifier les mois passés derrière son écran d'ordinateur à fantasmer sur la bacchanale qui s'annonçait. Alors l'alcool coule à flot, les corps se jaugent et se mélangent. Et tout le monde rehausse ses lunettes de soleil à l'approche des jolies filles dont chacun apprécie, en toute discrétion, les charmes estivaux. Car oui, Calvi, c'est un festival de musique électronique, vois-tu, mais c'est aussi des plages au sein desquelles le "J’aime regarder les filles", de Patrick Coutin prend tout son sens et ce serait franchement faire injure à la faune locale que de caser une petite sieste électronique au cœur de ce programme de fou, sans profiter, en fin esthète, du décorum environnant.
Le bruit assourdissant des enceintes se noie dans le brouhaha des gens et des vagues à mesure que l'on s'éloigne du sable. Chacun s'installe où il peut, le plus souvent attablé à des tonneaux installées pour l'occasion au beau milieu de l'écume laiteuse de la mer. Un mec crie "donne" au loin, sans que je puisse cerner l'objet de sa convoitise, un autre me dit qu'au vue des tenues des nanas de la plage le top "cropped" semble être le nouveau it de cet été alors qu'un nouveau converti utilise le mot "chiller" à tort et à travers. J'ai de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux, enivré par l'air iodé et le rosé que je tête religieusement depuis maintenant quelques heures lorsqu'un type tatoué m'accoste, à la recherche de "produits". Je lui réponds innocemment d'aller checker les cubis de rosé au Super U voisin. Réponse qui laisse de marbre mon nouvel ami, qui se fait subitement grave au moment de m'expliquer que l'after de ce soir se déroule "Chez Tao", précisant que le lieu a été découvert par un officier de Nicolas II, répondant au doux sobriquet de Tao Kereroff. Les quelques paroles qui réussissent à filtrer ensuite à travers le tamis de mon ivresse semblent également mentionner l'assassin de Raspoutine, sans plus de précisions sur le rôle de ce dernier dans cette histoire.
Et alors que je retourne sur la terre ferme à la recherche d'amis restés au chaud sur la serviette, m'apparait cette fille sur le visage de laquelle il m’est impossible de mettre un nom et sur le corps de laquelle il m’est impossible de mettre un visage. A cause du soleil couchant qui m'aveugle, un peu, et de l'alcool qui m'assomme, beaucoup. Elle me dit de la suivre et évite toute parole superflue, de façon à rendre le mystère un peu plus enivrant. Y'a ses omoplates devant mes yeux, qui clignotent sous les lampadaires de la cabane qui abrite le bar Havana Club, et ses cheveux mouillés qui se battent autour de son visage, elle est jolie et je suis saoul, elle me regarde et je souris, mais peut-être qu'elle me trouve juste ridicule, je sais pas, alors je regarde mes vêtements, et tout va bien, mis à part l'absence chronique de muscles.
Dans un regard entendu, on décide de quitter ce barnum et on longe le rivage, alors que tombe peu à peu le crépuscule, guidés par les lumières qui s'allument progressivement en ville. J'en oublie mes amis et mes premiers coups de soleil, le sel qui alourdit mon maillot et le sable qui me colle à la peau. J'en deviens un héros ordinaire, capable de porter tout le poids du monde à ses côtés, capable de prendre, surtout, la main qu'elle me tend alors que l'on grimpe dans un silence mutique les sentiers escarpés qui doivent nous mener chez Tao. Enfin arrivé à bon port, je m'arrête un instant, juste pour saisir la perfection de ce moment et contempler l'étendue de mes sentiments, niché tout en haut de la citadelle de Calvi, surplombant les éclairs de lumière qui lézardent la vieille ville et miroitent dans la mer. Conscient que rien ne peux m'arrêter dans cette fuite en avant. Surtout pas ce petit vieux auprès duquel je dois m'acquitter des droits d'entrées.
Une fois à l'intérieur, elle se retrouve par un ballet assez habituel entre le mur et moi et quand je l’embrasse, ou entre deux baisers, ou avant, elle me demande, t'entends c'est les Pachanga Boys et elle murmure "lost track of time". Ce qui n'est pas loin d'être vrai parce que ça fait bien deux heures qu'on est ensemble, seuls au milieu de ce maelstrom humain. Preuve que les choses se passent plutôt bien. Je glisse encore ma main contre son cœur et nous nous embrassons encore, et je me sens léger, et je ne veux pas croire que c’est l’alcool… Alors je lui propose de nous commander des verres au bar. Elle me répond "OK" d'une voix contralto, presque masculine, précisant qu'elle prendra un "Old Fashionned" et je m'arrête un peu étonné, même si je trouve que ça lui va bien, cette boisson un peu surannée, à mille lieues des mixed-drinks à la con qui pullulent de nos jours. Au bar, c'est la cohue et fatalement, je commence à m'énerver, après quelques longues minutes d'une attente d'autant plus insoutenable qu'elle me sépare à la fois de mes rafraîchissements et de ma beauté extrasystolique. Et comme plus tôt, les corps se jaugent et se mélangent. A ceci près que l'allégresse générale a cette fois disparu pour laisser place à une atmosphère chargée d'acrimonie, alors que la fatigue tire les cernes de chacun vers le bas et l'impatience vers le haut. On se frotte, on s'alpague et on se bouscule. Sans préavis aucun, un type me jette son verre à la gueule. Alors que je rassemble le peu de force qu'il me reste pour m'essuyer le visage, je me dis que la commissure de mes lèvres a un goût sacrément salé. Et j'ai de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux…
Le ressac de la mer me sort de ma torpeur éthylique. Le soleil cogne toujours aussi fort sur la plage et la musique d'Arnaud Rebotini retentit toujours. On me tend un verre de rosé. Décidément, ça part très fort à Calvi. 

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Petit condensé enrobé de fiction de 5 jours de folies rythmés par pas mal de musique, beaucoup de ciabattas et énormément d'alcool.



jeudi 5 avril 2012

La tête qui tourne... pas rond




Debout près de son lit, vêtue d'une nuisette bleu nuit, la main sur le commutateur, elle s'apprête à plonger la chambre dans l'obscurité quand soudain, elle se ravise et, ouvrant le tiroir de sa table de nuit, en sort un petit calepin noir, le genre de carnets intimes sur lesquels on griffonne quelques bouts de son quotidien, le soir venu. Plusieurs de ses notes au crayon sont presque illisibles alors que d'autres se référant à des après-midis ou des nuits depuis longtemps oubliées lui paraissent carrément étrangères. Mais tandis qu'elle passe son pouce sur les pages, les yeux de beaucoup d'hommes semblent la regarder, du fond de leurs noms à moitié effacés. Benjamin, son premier émoi adolescent, qu'elle avait embrassé à la faveur d'un cours de sport derrière le gymnase… Virgile, dont elle aimait revêtir les chemises au petit-matin, juste pour pouvoir respirer les effluves de son parfum Abercrombie ou même Antoine qui l'avait abordée en lui disant que son nez épaté et sa masse sombre de cheveux lui rappelait la chanteuse de Marina and the Diamonds… Un compliment maladroit qui l'avait faite glousser un peu bêtement. Mais comme tous les autres, Antoine n'est plus qu'un vague souvenir et son visage semble s'être dilué dans les shots de Ketel One qui ont émaillé ces derniers mois, entre soirées lunaires et gueules de bois apocalyptiques. Elle a aujourd'hui l'impression que sa vie sentimentale s'enchevêtre dans un Rubik's Cube dont elle n'aurait pas la clé, incapable qu'elle est d'associer les cases entre elles pour tirer ne serait-ce que le vrai du faux. Et les pages noircies fébrilement, ces derniers jours, lui rappellent que c'est quand on est malheureux que l'on a quelque chose à raconter... Que l'on ne peut pas noyer son chagrin dans la cyprine et les rencontres d'un soir.

Elle n'a jamais été ce genre de control freak que tu croises parfois, le genre de nana capable de te planter le caleçon sur les chevilles parce qu'elle a peur de bousiller son cycle en ne prenant pas sa pilule à la même heure chaque soir. Non. Toutefois elle reconnait qu'elle s'est quand même largement laissée aller ses derniers jours, même si en fille pudique, elle préfère vous épargner les détails de cette introspection nocturne. Et puis, elle est trop occupée à ce demander ce que le jeune homme qui ronfle allègrement à côté d'elle penserait de tout ça. Elle en vient à la conclusion qu'elle ferait mieux de récupérer la culotte qu'elle a jetée dans l'euphorie du moment et de prendre ses jambes à ses coups. Mais comme elle a déjà la tête qui tourne, elle se contente d'éteindre la lumière...