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Tu ne me vois pas ? |
J'avais lu dans un sondage à la
con qu'un festivalier sur quatre avait déclaré avoir déjà couché avec une
inconnue. Et c'est engoncé dans cette certitude que j'avais adjoint à ma
panoplie de hipster (espadrilles Pare Gabia, maillot de bain Lyle&Scott et marinière
Farah Vintage), suffisamment de préservatifs pour éradiquer le sida en Afrique.
Prêt à prendre d'assaut le théâtre Verdure, la plage Diesel in Casa et les
salles à même la roche de chez Tao. Et il faut dire que ça part très fort à
"Calvi on the Rocks".
Alors que le festival nourrit ses
convives d'un mantra un peu cul-cul, "Vivez heureux aujourd'hui, car
demain il sera trop tard", version balnéaire et sans naphtaline du
sacro-saint "carpe diem", et que la chaleur assourdissante du mois de
juillet vient ajouter son grain de sel marin, je me retrouve sans trop savoir
comment ni pourquoi, les pieds dans l'eau, le verre de rosé à la main, à
chiller comme ils disent si bien, écoutant Arnaud Rebotini mixer une
electroclash qui paraitrait imbitable si elle était servie ailleurs que dans ce
décor idyllique. Le tout entouré de toute la clique de la sainte Trinité
Montana / Baron / Silencio que je retrouve la moue blasée en moins, les coups
de soleil sur le nez en plus.
C'est dès lors c'est tout un bal
de maillots de bains et lunettes de soleil qui s'anime de manière épileptique. Parfois,
l'excitation fait bouger nos bras. Plus souvent, l'obligation d'avoir l'air de
s'amuser, pour justifier les mois passés derrière son écran d'ordinateur à
fantasmer sur la bacchanale qui s'annonçait. Alors l'alcool coule à flot, les
corps se jaugent et se mélangent. Et tout le monde rehausse ses lunettes de
soleil à l'approche des jolies filles dont chacun apprécie, en toute discrétion,
les charmes estivaux. Car oui, Calvi, c'est un festival de musique électronique,
vois-tu, mais c'est aussi des plages au sein desquelles le "J’aime regarder les filles", de
Patrick Coutin prend tout son sens et ce serait franchement faire injure à la
faune locale que de caser une petite sieste électronique au cœur de ce
programme de fou, sans profiter, en fin esthète, du décorum environnant.
Le bruit assourdissant des
enceintes se noie dans le brouhaha des gens et des vagues à mesure que l'on
s'éloigne du sable. Chacun s'installe où il peut, le plus souvent attablé à des
tonneaux installées pour l'occasion au beau milieu de l'écume laiteuse de la
mer. Un mec crie "donne" au loin, sans que je puisse cerner l'objet
de sa convoitise, un autre me dit qu'au vue des tenues des nanas de la plage le
top "cropped" semble être le nouveau it de cet été alors qu'un nouveau
converti utilise le mot "chiller" à tort et à travers. J'ai de plus
en plus de mal à distinguer le vrai du faux, enivré par l'air iodé et le rosé
que je tête religieusement depuis maintenant quelques heures lorsqu'un type
tatoué m'accoste, à la recherche de "produits". Je lui réponds innocemment
d'aller checker les cubis de rosé au Super U voisin. Réponse qui laisse de
marbre mon nouvel ami, qui se fait subitement grave au moment de m'expliquer que
l'after de ce soir se déroule "Chez Tao", précisant que le lieu a été
découvert par un officier de Nicolas II, répondant au doux sobriquet de Tao
Kereroff. Les quelques paroles qui réussissent à filtrer ensuite à travers le
tamis de mon ivresse semblent également mentionner l'assassin de Raspoutine,
sans plus de précisions sur le rôle de ce dernier dans cette histoire.
Et alors que je retourne sur la
terre ferme à la recherche d'amis restés au chaud sur la serviette, m'apparait
cette fille sur le visage de laquelle il m’est impossible de mettre un nom et
sur le corps de laquelle il m’est impossible de mettre un visage. A cause du
soleil couchant qui m'aveugle, un peu, et de l'alcool qui m'assomme, beaucoup. Elle
me dit de la suivre et évite toute parole superflue, de façon à rendre le
mystère un peu plus enivrant. Y'a ses omoplates devant mes yeux, qui clignotent
sous les lampadaires de la cabane qui abrite le bar Havana Club, et ses cheveux
mouillés qui se battent autour de son visage, elle est jolie et je suis saoul,
elle me regarde et je souris, mais peut-être qu'elle me trouve juste ridicule,
je sais pas, alors je regarde mes vêtements, et tout va bien, mis à part
l'absence chronique de muscles.
Dans un regard entendu, on décide
de quitter ce barnum et on longe le rivage, alors que tombe peu à peu le
crépuscule, guidés par les lumières qui s'allument progressivement en ville. J'en
oublie mes amis et mes premiers coups de soleil, le sel qui alourdit mon
maillot et le sable qui me colle à la peau. J'en deviens un héros ordinaire,
capable de porter tout le poids du monde à ses côtés, capable de prendre,
surtout, la main qu'elle me tend alors que l'on grimpe dans un silence mutique
les sentiers escarpés qui doivent nous mener chez Tao. Enfin arrivé à bon port,
je m'arrête un instant, juste pour saisir la perfection de ce moment et
contempler l'étendue de mes sentiments, niché tout en haut de la citadelle de
Calvi, surplombant les éclairs de lumière qui lézardent la vieille ville et
miroitent dans la mer. Conscient que rien ne peux m'arrêter dans cette fuite en
avant. Surtout pas ce petit vieux auprès duquel je dois m'acquitter des droits
d'entrées.
Une fois à l'intérieur, elle se
retrouve par un ballet assez habituel entre le mur et moi et quand je
l’embrasse, ou entre deux baisers, ou avant, elle me demande, t'entends c'est
les Pachanga Boys et elle murmure "lost track of time". Ce qui n'est
pas loin d'être vrai parce que ça fait bien deux heures qu'on est ensemble,
seuls au milieu de ce maelstrom humain. Preuve que les choses se passent plutôt bien. Je glisse encore ma main contre son cœur et
nous nous embrassons encore, et je me sens léger, et je ne veux pas croire que
c’est l’alcool… Alors je lui propose de nous commander des verres au bar. Elle
me répond "OK" d'une voix contralto, presque masculine, précisant qu'elle
prendra un "Old Fashionned" et je m'arrête un peu étonné, même si je
trouve que ça lui va bien, cette boisson un peu surannée, à mille lieues des
mixed-drinks à la con qui pullulent de nos jours. Au bar, c'est la cohue et
fatalement, je commence à m'énerver, après quelques longues minutes d'une
attente d'autant plus insoutenable qu'elle me sépare à la fois de mes
rafraîchissements et de ma beauté extrasystolique. Et comme plus tôt, les corps
se jaugent et se mélangent. A ceci près que l'allégresse générale a cette fois disparu pour laisser place à une atmosphère chargée d'acrimonie, alors
que la fatigue tire les cernes de chacun vers le bas et l'impatience vers le
haut. On se frotte, on s'alpague et on se bouscule. Sans préavis aucun, un type
me jette son verre à la gueule. Alors que je rassemble le peu de force qu'il me
reste pour m'essuyer le visage, je me dis que la commissure de mes lèvres a un
goût sacrément salé. Et j'ai de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux…
Le ressac de la mer me sort de ma
torpeur éthylique. Le soleil cogne toujours aussi fort sur la plage et la musique
d'Arnaud Rebotini retentit toujours. On me tend un verre de rosé. Décidément,
ça part très fort à Calvi.
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Petit condensé enrobé de fiction de 5 jours de folies rythmés par pas mal de musique, beaucoup de ciabattas et énormément d'alcool.