vendredi 11 octobre 2013

Na svidenje





Soirée d'août à Ljubljana, festival France Preseren. Je t'arrête tout de suite, rien à voir avec l'Hexagone, c'est le nom d'un poète local. Bon y'a quand même cette Française sur scène, qui chante en anglais et gesticule tellement qu'elle pourrait en donner le tournis à un épileptique. C'est un peu Bjork qui rencontre MIA et Izia dans ce petit bout d'1m60, à vue de nez. Le tout saupoudré d'une instru qui flirte parfois d'un peu trop près avec Ushuaïa... C'est plutôt décousu mais c'est sympa. Elle s'appelle Louise et nous annonce le nom de son groupe, le Vasco, alors qu'elle se décide enfin à laisser tomber des lunettes de soleil rendues superflues par l'heure avancée de la nuit. Des lunettes dont on devine cependant l'utilité alors qu'elles laissent découvrir d'épais sourcils et des paupières à moitié closes.

J'abandonne ce visage de poupin dans la pénombre pour me concentrer sur la foule, compacte, et l'ambiance, un peu tiède, si l'on fait abstraction des quelques types qui ont trop bu. Après désamorçage des blondes et dissipation des brunes, ne reste plus que cette fille aux cheveux châtains, pommettes apaches et frange impavide. Force est de constater que je suis pas loin du coup de foudre au premier regard. Et je peux vous assurer que tous ceux qui suivent ne font que confirmer la première impression, à mesure que ses traits, ses gestes s'installent dans ma tête comme une petite mélodie dont les seules premières notes suffisent à transformer mon hémisphère droit en un CD une piste. Chemisier blanc à col claudine noir, bottines en cuir et tatouage sur l'avant-bras, je fredonne ce petit air slovène dans ma tête jusqu'à en oublier Le Vasco. Ne m'en manque plus que le titre.
Et comme je suis à moins de 20 battements de cœur d'elle, je fends la meute qui m'entoure sans y réfléchir et décide d'opter pour l'une des techniques d'approches les plus ringardes qui soient, lui demandant de tenir mon verre l'espace d'une seconde, juste pour pouvoir l'entrechoquer avec celui que je tiens dans mon autre main. "On trinque à quoi ?", je lui demande. Ce qui dans mon anglais mal assuré donne, "What are we celebrating ?". D'ailleurs vous avez sans doute remarqué comme moi que les personnalités de chacun diffèrent en fonction de la langue qu'ils pratiquent à un instant T. Volubile en français, toujours prompt à jouer avec les mots pour essayer de convaincre ma cible du bien-fondé d'entamer une relation sexuelle avec moi, j'ai toujours été beaucoup moins avenant en anglais, sans doute parce que les limites de mon vocabulaire dans la langue de Shakespeare m'obligeaient à la concision. De telle sorte que je mise plus souvent sur ma maladresse pour attendrir, espérant que l'accent français fera le reste. Dans le cas présent, je me rends compte que les nombreuses lasko pivo éclusées ont sensiblement réduit la barrière de la langue… et je me sens prêt à tenir conciliabule avec la reine d'Angleterre en personne.
Amarrage réussi. Je m'accroche tant bien que mal à cette bouche lippue qui oscille entre moue badine et sourire enthousiasmant et fais face à une interlocutrice amusée par ce pauvre Français qui se tient face à elle. Tout se passe bien même si je regrette que sa bienveillance essaime une discussion un peu trop amicale à mon goût. On parle de tout et de rien. Surtout de rien parce qu'il est difficile de communiquer lorsque la vague de BPM qui déferle des enceintes vous perfore les oreilles à ce point. Louise a laissé place à un émule de Jackson, sans son Computer Band, mais avec un Arp #1 qui réduit à néant toutes mes velléités de conversation. L'atmosphère a clairement basculé. Le bon enfant a laissé place au bon n'importe quoi. Mais peu m'importe que j'ai de plus en plus de mal à distinguer son visage à travers les volutes de fumées qui s'élèvent à mesure que bat le beat, j'ai enfin décroché son nom, A.... Oui je le garde pour moi.
La chaleur ramollit la piste et les cerveaux alors que le DJ lance judicieusement un remix de Disclosure par Flume sur lequel la foule alanguie vient s'échouer en slow-motion. Je rythme mes pas sur les cadences dub-step du morceau, je l'attrape par les hanches en lui balançant mon sourire le plus niais, toujours résolu à jouer la carte de l'empathie. Et c'est parce que tout se passe bien et que l'ambiance est si prometteuse que je me sens gagné par le même sentiment que j'éprouvais petit quand j'approchais de la fin d'un de ces livres de la comtesse de Ségur que je dévorais : une joie tellement marquée par la conscience de sa brièveté que je mangeais à toutes petites bouchées chacun des mots qui composaient le dernier chapitre, faisant durer ma lecture le plus longtemps possible. De là même manière, au lieu de voir où la fin de soirée nous mènera, je décide d'en rester là, d'en garder pour plus tard… Me contentant d'un petit baiser tout ce qu'il y a de plus prude, juste à la commissure des lèvres. De quoi laisser sur ma bouche un petit goût d'inachevé pas forcément déplaisant. De quoi, surtout, m'endormir à l'arrière de la voiture qui nous ramène à Metelkova, les paupières appesanties par l'alcool et les zygomatiques en extension alors que son "Na svidenje" résonne encore dans le creux de mon oreille. Et dans la tête une petite mélodie intitulée A....