mardi 31 janvier 2012

Dernier arrêt d'Autobus

Vivre d'amour et d'anis frais

J'erre dans les couloirs du métro et maudis les mecs qui, dans mon dos, portent des talonnettes dont le martèlement qui se fait plus pressant à mesure qu'ils s'approchent de moi, m'évoque une stagiaire pressée de rejoindre l'afterwork qu'elle fréquente tous les jeudis  ou une Milf dont le cul moulé dans son tailleur de grande marque justifie à la fois le prix de ce dernier et celui de son abonnement à la salle de sport. Autant de promesses d'un cul meilleur qui s'évanouissent lorsqu'ils me dépassent, la mallette dans une main, le BlackBerry dans l'autre, occupé à envoyer un mail à je ne sais quel grouillot de la finance. Mais comme j'ai l'humeur malléable et que l'apparition d'une jolie fille suffit à faire s'évanouir la promesse d'une autre, je retrouve le sourire lorsque cette fille aux cheveux châtains qui gondolent, à la chemise rouge retroussée au niveau des manches et rentrée dans son jean slim, me devance de quelques mètres. Elle aurait pu être jolie, comme tant d'autres. Seulement elle parait si prudente, si méfiante qu'elle semble s'arrêter au bord de la beauté, comme au bord de la vie, avec ses sourires trop policés et ses gestes trop furtifs, mécaniques et peu naturels. Et cette bouche qu'elle ourle, suspicieuse, lorsqu'un étranger lui adresse la parole, lorsque je lui propose de porter sa valise, est une autre barrière de défense qui ne me donne que plus envie de la (sur)monter. Mais comme je suis du genre tenace et que je n'accepte jamais un non comme réponse, elle me lâche mi-excédée, mi-amusée, qu'elle passera la soirée dans un bar du 11ème, l'Autobus.
La foule ultra-lookée qui le peuple tranche singulièrement avec ce troquet qui semble avoir au fil du temps adopté la teinte jaune et laiteuse des ricards que le patron Pierrot, père spiritueux de toute cette foule de soiffards, verse généreusement, interpellant les nouveaux arrivants de ces fameux "Viens la bogosse que je t'arrange ta gueule." L'enthousiasme des garçons pour les jeunes filles aux chignons romantiques, toutes de Sandro vêtues et qui ondulent, irrésistibles, dans ce bain de foule, n'atteint pas la ferveur un peu impuissante du mien. Blasés sur le compte de la perfection physique et sûrs de leur force, c'est à peine s'ils jettent un regard condescendant à cette foule de filles à qui j'ai envie successivement de leur demander leur nom, de leur proposer un verre, enfin de leur tenir ne serait-ce que la main, me tortillant entre chacune d'elles comme un asticot gonflé de passion. Le problème de la beauté c'est que comme l'alcool ou le confort, on s'y habitue et on n'y fait plus gaffe.  Le smicard de l'amour que je suis ne peut lui s'empêcher d'afficher un sourire béat face à tant de possibilités, mettant à nue mon âme débraillée devant tous ces bourges indifférents, cloitrés dans leurs alvéoles d'alcool et chemises APC cintrées.  Déjà les regards se croisent et les complicités secrètes, comme un baiser volé au détour d'une ruelle, se créent, à la faveur d'une atmosphère baignée d'anis et du son des Smiths qui émane de ce juke box d'un autre temps. Sirotant mes verres généreusement dosés, je scrute chaque visage féminin que je croise, m'attachant à greffer à chacun d'entre eux une petite imperfection. Celle-ci qui a les deux dents de devant un poil trop longues, celle-là qui a un nez trop court, trop effacé ou encore l'autre, là-bas, dont les oreilles trop petites, ont du mal à émerger. Car tout le charme d'une fille réside dans ces petites entorses faites à la beauté, des imperfections qui la rendent plus accessible, des imperfections qui, si elle ne les assume pas, l'a rendent encore plus touchante. Oui décidément, je laisse les beautés parfaites aux mecs blasés et sans imagination. Pourtant, Anna et ses hanches qui balancent, Anna et son teint laiteux de poupée, n'en avait aucune d'imperfection. Mais pour elle j'étais prêt à sacrifier à toutes mes convictions.
Manque de bol pour moi, elle m'avertit tout de suite que des années d'expériences l'on mise en garde contre "ces garçons qui veulent te voir très souvent, au début ; évoque un week-end dans une capitale européenne, la première nuit à peine consommée et t'enveloppe de mots doux, une fois levée et ce jusqu'à la fin de la journée. Pour un jour, sans véritable raison, filer dans les bras d'une autre, inconnue ou pire, ex." Manque de bol pour elle, l’intérêt que peut susciter une femme dépend fortement du degré de résistance ou dédain qu'elle oppose aux hommes qui la sollicitent. Elle m'a complètement accroché. Ses réponses évasives à mes questions laissent deviner une fille capable de se mutiler le système nerveux avec des béguins impossibles, le genre de fille dont  tu connais l'âme longtemps avant de découvrir son corps, le genre à pas se laisser aspirée facilement dans un vortex de fausses promesses et sourires cajoleurs. Face à cette équation a priori compliquée ne subsiste donc plus qu'une inconnue, le degré d'alcool que chacun a ingéré. L'alcool est le plus limpide des argumentaires, capable d'éteindre toute trace de velléité. C'est à coup de pintes de ricard que je réussis à convaincre Anna du bien-fondé d'engager une relation sexuelle avec moi.
Un verre de plus et elle me suivra, alors que l'empathie affluera par tous les pores de sa peau. Obéissant à je ne sais quel reste de pudeur adolescente, elle profitera de ce que je détourne les yeux pour se dévêtir dans la lueur tamisée de ma chambre, sans doute parce qu'elle complexe encore de sa petite poitrine, malgré tout l'alcool qui a arrosé sa timidité. Mais elle s'abandonnera enfin à son désir alors que je presserai mes lèvres contre les siennes, une pression plus qu'un baiser durant laquelle j'entrouvrirai les paupières l'espace d'une seconde. Juste pour admirer le spectacle de sa reddition.

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Rendez-vous à l'Autobus les bogosses ! 


mardi 3 janvier 2012

2012, année de la lose ?

Léa c'est doux

Autant être honnête j'ai jamais été un grand fan des soirées de réveillon, ce rassemblement de personnes la plupart étrangères les unes aux autres, réunies parce qu'elles ont jugé cette solution préférable à une soirée en tête à tête avec leur télé et Patrick Sébastien ou pire encore un réveillon en famille, cette caste d'intouchables dans l'échelle sociale de la soirée du 31.
Comme d'habitude, j'avais toujours rien décidé à quelques jours de l'échéance parce que "tu vois je trouve ce genre de truc trop convenus, les gens se mettent trop de pressions pour une soirée comme les autres…"  Et puis entre nous, qui, sinon les personnages de série télé ou de film, a déjà vécu un réveillon inoubliable ? Néanmoins, mon anticonformisme se heurtant comme souvent à mon refus d'être socialement ostracisé, j'avais fini par appeler une pote qui avait eu le mérite de se manifester à mon retour du Mexique pour ne pas finir seul, mon verre de mousseux à la main, entamant le compte à rebours un chapeau en papier crépon sur la tête. Et me voilà donc essayant difficilement de tracer ma route à travers la foule endimanchée, montant les marches du métro direction une fête vers Gambetta. Devant moi, une fille qui porte un slim simili cuir qui ne lui va pas parce qu'elle a le cul un peu trop large et les jambes un poil trop courtes et les plis intempestifs qui lui boudinent les mollets abreuvent abondamment mon sourire mesquin.

A l'intérieur, la fête bat son plein. A mon arrivée dans ce qui devait être il y a une heure ou deux le salon et qui ressemble désormais à une pataugeoire alcoolisée, j'écarquille les yeux pour laisser mon regard bifurquer dans toutes les directions et balayer les filles d'un simple coup d'œil. Là-bas au fond, une petite brune vaguement potable, typiquement le genre de nana capable d'arborer son sac en toile Kooples solidement accroché au coude dans le métro, juste pour montrer à tout le monde qu'elle n'hésite pas à claquer 245 euros dans cette petite robe bustier gansée qu'elle porte ce soir. Et tant pis si elle se condamne par cet achat à porter des escarpins achetés 29 euros chez Bata "parce qu'avec des indemnités de stage de 398 euros difficile de survivre à Paris et ça vois-tu Papa ne le comprend pas". Mais l'important c'est qu'entre Baptiste et elle, ce soit un peu comme entre Adam et Karolina, "couple" dont elle voit l'histoire placardée sur les murs du métro Sentier quand elle va boire un jus de tomate ou un coca cola LIGHT rue Montorgueuil avec ses copines. Et puis, Baptiste est tellement beau dans son jean slim et sa veste en cuir cintrée quand il vient la chercher en Vespa après son verre entre copines. Baptiste parlons-en, ce soir, il porte un tee-shirt marinière col un peu échancré pour laisser ses deux-trois poils de torse prendre l'air alors qu'une fine moustache pourrait souligner son sourire charmeur si sa pilosité inégale ne lui donnait pas l'aspect duveteux des ados. Tout cela sans même s'attarder sur son slim plus étroit que celui des filles de l'assemblée, un slim qui semble lui compresser les burnes au moins autant que sa copine hyperactive. "Eh Bapt', parle-lui de cette expo post-impressionniste qu'on a vu la semaine dernière ! Oh oui et puis ce reportage sur les jeunes russes qui prennent du Krokrodil dans Vice, ça nous a retournés. Dis Bapt' tu pourrais aller me chercher une coupe de champagne ?" C'est du mousseux connasse.

A côté de moi, un groupe de mecs suffisamment pétés pour que l'on devine qu'ils ne feront pas partis des heureux(?) à passer la barre des minuit. Le regard éteint, les gestes alanguis mais la voix décuplée, ils t'interpellent, ton manteau à peine posé, avec l'enthousiasme de vieux potes de régiment et s'assurent que tu as toujours un verre à la main. De véritables petits Saint Bernard éthyliques. A leur droite, une fille avachie sur le canapé, on sent qu'elle a tabassé son joli minois à coup de mousseux et que 2011 est déjà terminé pour elle. A moins que ce grand blond qui lui jette des regards intéressés ne réussisse à l'extraire de sa quasi-inconscience le temps d'une étreinte coquine… Et puis comme on est sur Hip for the Chick, il y a aussi cette fille super jolie, un peu isolée, mystérieuse. Cheveux miel vaguement noués, regard de chat et peau de pêche, une farouche qu'on ne chope pas d'un coup de lasso, ça se voit. Elle s'appelle Prudence et ça lui va bien car elle semble aussi fugace et insaisissable que Léa Seydoux dans "Belle Epine". Elle porte un grand pull col roulé beige qu'on devine enfilé à la va-vite et elle discute avec une pote toute aussi jolie qu'elle mais sur laquelle je ne m'attarde pas car ma pote Julie me signifie avec un sourire entendu que "c'est une goudou". Et comme elle voit que je comprends pas elle précise, "c'est une lesbienne". OK.
La nana qui organise la soirée est plutôt cool mais le sourire immuable qu'elle trimballe depuis déjà une heure m'effraie à un tel point que je me demande si elle le lâche avant d'aller s'endormir. Une question qui restera sans réponse à la faveur d'un verre que me resservent les types de tout à l'heure, mes Saint Bernard. Je n'aime pas vraiment la vodka mais je dois admettre qu'à partir d'un certain moment les circonstances imposent que l'on arrête de faire son gourmet et ce même si la brulure humide de la vodka qui refroidit la bouche et met la gorge en feu n'ait pas exactement ma tasse de thé.

Et alors que les minutes puis les heures s'égrènent doucement, que minuit menace à tout moment d'apparaître et que le vacarme ambiant s'est transformé en murmure ouaté pour mes oreilles alanguies par l'alcool, j'arrive à ce stade où tu te retrouves seul comme un con et tu te dis qu'il vaut mieux faire n'importe quoi que rien du tout. Un peu comme quand tu t'es trituré l'esprit des heures pour envoyer un texto fin et attentionné (mais qui n'en dévoile pas trop car tu ne veux pas passer pour une éponge sentimentale) à la fille que tu chines depuis quelques rencarts infructueux. Et à chaque fois que tu écris ce putain de texto, vient ce point d'inflexion où tu te dis que ce ne sont pas trois mots changés qui vont faire la différence alors tu appuis sur le bouton envoyé en jetant un regard de défiance au type tout en haut.
Oubliant donc toute cette pudeur qui m'empêche habituellement d'exprimer le moindre sentiment, je m'avance vers une Prudence enfin esseulée, prêt à accrocher son regard avec mon sourire et un verre de punch comme hameçons.
On m'a souvent dit que j'étais un garçon tactile, ça n'a jamais été aussi vrai qu'à cette seconde où j'ai attrapé sa main gonflé par je ne sais quelle subite confiance en moi, sans doute parce que la vodka vibrait très fort dans ma tête, alors que j'avais à peine eu le temps d'échanger quelques banalités avec elles. Et c'était plutôt un timing parfait parce qu'un type avait eu la bonne idée d'abandonner les Rihanna et Florida de circonstance pour balancer ce morceau des Gangs of four qui sent tellement le sexe que t'as subitement envie de faire l'amour-là, au beau milieu de la foule, les premières paroles à peine jetées avec morgue par le chanteur. "Your kiss so sweet. Your sweat so sour. Sometimes I'm thinking that I love you. But I know it's only lust." Alors que l'on murmure ses paroles à l'unisson, j'ai envie de lui arracher ce pull qui empêche tout contact avec cette peau que je devine délicate et nacrée rien qu'à l'aspect de ses mains. On est tellement bien qu'on n'aperçoit même pas les regards noirs que nous lance la pote de Prudence, sans doute dégoûtée de se retrouver seule alors que l'on nage dans un océan de coton éthylique. Cette dernière demi-heure rythmée par les cris d'un type dont les "10 – 9 - 8…" lancés toutes les cinq minutes finissent par tomber dans l'indifférence générale s'étire avec la tiédeur du miel qui coule dans un tisane, langoureusement. Et j'ai envie de retenir 2011 à jamais, je suis si bien avec elle et tellement clair en moi, si immodérément amoureux de cet instant que je voudrais entamer lentement l'adoration de chacune de ces secondes qui me filent entre les doigts.

Alors que dans ce combat perdu d'avance, le compte à rebours fatidique parvient à son terme, que des types débouchent le champagne et arrosent l'assistance avec la ferveur de pilotes de formule 1, la brève seconde durant lequel j'ai lâché la main de Prudence pour dégager mes yeux aveuglés par la mousse suffit à l'éloigner de moi. Et c'est finalement pas du miel que je sens bouillonner dans mes veines sinon un ressentiment proportionnel à mon envie d'assaillir ses lèvres brûlées par la vodka lorsque je la vois qui me tourne le dos, embrassant fiévreusement sa "pote". Putain d'année 2012.