lundi 18 juillet 2011

Il y a du soleil et Alana


Il est des moments que l'on redoute autant qu'on les attend. Aux premiers rangs de ceux-là figure cet instant fatidique où l'on se désape pour la première fois de l'année en bord de mer, ce moment où tous les excès des derniers mois se cristallisent en une phrase : "Ah ouais tu t'es un peu laissé quand même non ?" On a beau être préparé à une telle éventualité, la remarque fait toujours aussi mal ; à tel point qu'on est fermement résolu, une fois la parenthèse estivale refermée, à renouer avec une vie d'ascète. Pourtant, ce genre de résolutions a ceci de spécial qu'elle ne dure que le temps de les prononcer. Les mois passent mais rien n'a été encore fait.

Me voilà donc, une année de plus, à trainer ma carcasse mal guindée sur les plages de Seignosse mais cette année je m'en fous. J'ai décidé de tout prendre avec le détachement d'un moine bouddhiste dans un strip club. Rien ne m'affecte. Et puis il faut dire que c'est quand même cool l'été, c'est le seul moment où tu peux lire les Vogue et Cosmo de tes potes filles sans aucun complexe. L'été, c'est ces bouteilles de bières que tu enfonces dans le sable, la peau rougie par le soleil, le maillot rempli de sel et de sable qui te colle à la peau alors que tu remontes péniblement une route goudronnée, l'asphalte chauffé par les rayons du soleil qui crisse sous ces tongs dont la lanière vient se frotter entre ton index et ton pouce endolori. Autant de petites désagréments que l'on aime bien endurer, notre coté maso sans doute.
L'été, c'est aussi pour moi cette grande machine à laver qu'est le spot de Seignosse, lorsque tu te jettes dans les vagues et que tu te fous de la gueule que tu auras en sortant du rouleau, déjà bien content d'en sortir vivant. C'est bien sûr les lunettes de soleil que tu rehausses à l'approche des jolies filles dont tu apprécies, en toute discrétion, les charmes estivaux.

On a rejoint une fête organisée par la marque Roxy pour célébrer la fin d'une compet' de filles. Inutile de préciser que tout ce que la ville compte de surfers et surfeuses, musicien et musiciennes, se soûle tranquillement au soleil. En attendant mon pote Christian parti en mission alcool, je tape des textos que je supprime aussitôt, le but n'étant pas tant d'envoyer des messages à quelqu'un en particulier que de m'occuper l'esprit ou, tout du moins, d'avoir l'air occupé. Je suis pas fan de ce genre de réunion où chacun s'efforce de butiner de groupe en groupe, une coupe de champagne à la main, les mecs essayant d'essaimer des idées coquines dans l'esprit et les jupes des filles, celles-ci s'efforçant de ne rien laisser paraître pour ne pas passer pour des proies faciles.
Il faut dire que mon manque d'assurance et mon taux d'alcoolémie généralement important font que j'ai toujours un peu de mal à sortir de ce lot de testostérone, au contraire de mon pote Christian qui, peu importe le lieu et les circonstances, se tient toujours à mes côtés, l'oeil vif, aiguisé sur la moindre fille potable et l'autre vigilant, pointé vers le bar. Alors qu'il me montre d'un signe de la tête, deux jeunes filles, deux pâquerettes qui ne demandent qu'à être cueillies, selon ses propres mots, mon attention est troublée par une fille placée à la droite de Dieu, un connard de DJ en Ray Ban qui gesticule dans tous les sens en passant du Creedence.

Le truc fou chez cette fille, c'est qu'elle est une attitude plus qu'un visage. Un peu comme cette fille dont on rêve toute une nuit durant et dont le souvenir nous glisse entre les doigts au réveil, si proche et si lointain à la fois. On a l'impression d'avoir partagé quelque chose d'unique avec elle sans être pour autant capable de mettre ne serait-ce qu'un visage sur cette silhouette. Ma surfeuse, car une fois mon regard posé sur ces fines épaules, elle était mienne, est tout à fait de ce genre. J'ai beau y mettre toute ma bonne volonté, mon esprit peine à dessiner un visage sur cette silhouette musclée comme il faut. A défaut de regard, de nez ou de sourire, tout ce qui m'apparait, c'est une casquette rose de skater qui vient coiffer de long cheveux décolorés par le sel de l'eau et un petit short en jean qui, lui, épouse merveilleusement les courbes de cette silhouette sportive. Définitivement, le genre de fille qui peut être à la fois ta copine et ta petite copine. Si seulement c'est encore possible de nos jours.

Toujours est-il que je nous aurais bien vu partir là, sur le moment, genre en stand up paddle, pour être raccord avec l'ambiance surfer du moment, alors que comme dans les films, une musique aurait accompagné notre fuite. Si on m'avait demandé mon avis, je pense que j'aurais opté pour « You and I » de Washed Out. Tout est dans le titre déjà... Et puis je voyais bien les coups de pagaies en synchro avec le beat de la chanson. Où on aurait été ? On s'en fout non ? C'est qu'un rêve après tout. Déjà qu'on se fait chier à s'imposer des barrières dans la vie réelle, on ne va pas non plus restreindre notre imagination. Je vous le dis, je suis le Martin Luther King de l'amour et mon rêve à moi, il est hier, aujourd'hui et demain. Sans limite.

Alors que, dans mon élan, je suis pas loin de couper la musique et d'haranguer la foule et avec elle, mon inconnue, Christian, qui a toujours un coup d'avance sur tout le monde, me gratifie d'une grande tape sur l'épaule et me demande si Alana Blanchard est à mon goût. Alors qu'il commence à me raconter les exploits de cette surfeuse américaine, le charme de l'inconnu déjà rompu, je la regarde une dernière fois, ferme les yeux et bois une ultime gorgée, en me disant qu'à tout prendre, mieux vaut rêver éveillé.

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Pour ceux qui veulent voir Alana Blanchard enchaîner les bottom turn et rollers (en petite tenue tant qu'à faire hein), c'est ici.  




mardi 12 juillet 2011

Pass this on


Elle porte une robe simple mais jolie, même si en fait ça n'a pas d'importance car le visage de Charlotte, pommettes apaches et sourire mutin, l'habille d'un rien.
On est à une soirée avec des gens que je ne connais pas ou très peu. Sans doute moins spirituel que spiritueux j'essaie désespérément d'attirer son attention en balançant à la cantonade quelques considérations qui se veulent caustiques mais qui ne semblent pas atteindre leur but. Faute de savoir comment occuper mes mains et mon esprit, je réapprovisionne tout le monde en bières, ce qui me donne l'occasion d'effleurer ses doigts fins, l'espace d'une seconde qui me parait être une minute. Quand il s'agit de jolies filles, tous les moyens sont bons pour approcher le Graal non ?

Un frisson parcourt l'assemblée alors qu'un type balance "Pass this on" de The Knife. Elle se déhanche lascivement au son du synthé en posant ses mains sur l'épaule d'un type qui n'a pas l'air de comprendre sa chance alors qu'une copine lui murmure à l'oreille des paroles qui doivent être amusantes si j'en crois le sourire franc qui se dessine sur son visage.
Changeant de stratégie, je me dis qu'il est temps de prétexter l'indifférence et de battre en retraite, quitte à rejoindre un groupe de types qui n'ont pas l'air de trop savoir ce qu'ils foutent là. Pas plus que moi d'ailleurs, qui ne comprend pas un traitre mot de leur discussion et qui dévore des yeux l'objet de la convoitise, divinement moulé dans ce bout de tissu, chignon relevé en arrière. Même si un rien l'habille, je me surprends à l'imaginer nue, ces hanches étroites, ces petits seins qui pointent juste ce qu'il faut, un corps de femme coincé dans celui d'une adolescente quoi. Ce qui m'amène à me demander le genre de fille qu'elle pouvait être à cet âge-là et à me dire que j'aurais bien aimé la rencontrer alors. Moi-même trop timide pour l'aborder, elle m'aurait peut-être invité au cours du quart d'heure américain d'une boum. On aurait dansé l'un contre l'autre alors que j'aurais eu du mal à réprimer un tremblement au moment de lui prendre la main, la rétine et les pupilles qui brillent d'émotion. J'aurais fait comme Tyler, the Creator dans je sais plus quelle chanson et me serais servi de son prénom comme mot de passe, juste pour pouvoir me rappeler tous les jours la chance que j'ai, alors que, faute de textos, on se serait écrit des lettres qui auraient inondé une boîte au lettre que l'on aurait ouverte avec toujours autant d'impatience.

Mais non, je suis là, planté sur ma chaise à me soûler la gueule comme un con, à me remémorer des évènements qui ne se sont même jamais passés. A refaire seul l'histoire comme un pilier de comptoir en mal de compagnie. A ne pas savoir comment aborder une nana qui a déjà dû refroidir des centaines de mecs comme moi et qui a peut-être fricoté avec une minorité d'entre eux, en leur abandonnant son cul à défaut de leur laisser son cœur.
Je me dis souvent que je me pose trop de questions et envie ces potes qui peuvent sans cesse repartir à l'assaut, nullement échaudés par leurs échecs répétés. Je vous assure, c'est même pas une question de fierté, disons juste que je pense que, si les histoires d'amour finissent mal en général comme dirait l'autre, de manière tout aussi générale, elles commencent rarement mal. J'ai peut-être tort de ne pas vouloir me battre mais je me bats pour croire que j'ai raison.

On arrive à la fin de la chanson et je me rends compte que tout le monde a rejoint la piste de danse, s'abandonnant au rythme langoureux de la musique alors que je dois fatalement avoir l'air con, seul sur ma chaise. Alors que je m'apprête à mettre fin à ce supplice, je sens une main qui m'effleure, le contact de ces doigts fins me semble familier. Comment l'oublier ? Au moment de partir, sans même un regard, elle me glisse dans la poche un papier qui me laisse avec plus de questions que de réponses. Même si je ne comprends pas la raison de ce geste, je me dis que son numéro me permettra peut-être d'écrire la suite de cette histoire.
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mercredi 6 juillet 2011

Ancora tù



Je bois à la bouteille, un chianti qui me suce plus l'esprit que je ne le tète et la chaleur assourdissante du mois d'août vient ajouter son grain de sel, contribuant à me faire perdre un peu plus la tête. Tout ça sans compter les filles qui rient un peu trop fort, les mecs qui les matent un peu trop alors que les vieux déjà exclus, dans leur coin, se reposent des excès de toute une vie, à l'ombre. Les gens appellent ça un déjeuner d'été, moi je pencherais plus pour le bal des anges et il est sur le point de commencer.
Alors que le rideau tombe enfin sur la journée, le soleil entame son dernier tour de piste laissant le champ libre à toute une jeunesse alcoolisée. Lucio Battisti et son "Ancora Tù" viennent fermer leur clapet aux grillons qui occupaient jusque-là le devant de la scène. Les têtes tournent et les robes des filles avec. C'est un peu toute la bourgeoisie de Moravia qui se soûle en ce dimanche d'été. Je ne sais plus vraiment comment j'ai atterri dans ce bled de Toscane et ne comprends que la moitié de ce que me disent les Riccardo, Fabrizio ou Luca mais je m'en fous, je ne veux pas rester sur la paille alors j'acquiesce à la moindre palabre.
Je sens que ce soir j'ai le groove d'un Battisti, le pantalon patte d'eph' et la tignasse en moins. Je suis comme un marin en perm' qui se dit qu'après avoir bravé les quatre mers, la gent féminine n'est pas un défi si insurmontable que ça. Je me sens la force d'accoster n'importe quelle fille de la foule mais je ne le fais pas, préférant attendre que les moins difficiles trouvent d'abord preneur. Alors, en attendant que s'exécute la sélection naturelle, j'observe les filles qui, dans un regard entendu, commencent à ôter leurs robes. Le color block est de retour, c'est pas moi qui le dit, ce sont leurs sous-vêtements colorés qui apparaissent, rouge, bleu, orange ou vert, toujours chatoyants. Les plus prévoyantes laissent apparaître un bikini alors que d'autres, pas en reste, sautent dans la piscine, dévêtues. Cosi fan tutte.

Je la vois qui discute avec une nana qui aurait été belle si elle n'avait pas été aussi consciente de son pouvoir d'attraction. Elle, en revanche, c'est tout le contraire. Elle respire un manque d'assurance qui en devient sexy. Elle tient nerveusement une flûte qu'elle fait valser au gré de ses gestes et porte un monokini dont le style suranné tranche un peu dans le paysage des tenues sophistiquées. Alors que nos regards se croisent et que je me dis que ce serait dommage de ne pas l'aborder, elle s'approche et m'apprend dans un français mâtiné d'un accent chantant qu'elle s'appelle Chiara.
J'observe les traits de son visage qui s'éclaire à la lumière du briquet que je lui tends et me rend compte qu'elle fume comme Liv Tyler dans le film de Bertolucci, "Beauté Volée", les mains jointes, dans un geste tout ce qu'il y a de plus religieux. En bon garçon à qui sa maman a appris à se taire dans ces moments là, je ne peux que me contenter de l'observer, dans un silence sacré.
Lorsqu'elle me dit dans un rire qu'on ne dévisage les filles de cette manière, je me dis que la vie n'est parfois pas si garce que ça alors je savoure ce sourire qui vaut mille mains tendues et lui pose des questions à laquelle elle n'a pas le temps de répondre. J'ai l'impression qu'elle commence à être un peu soûle car elle rit de plus en plus facilement à mes blagues. Attention, elle ne parait pas cruche pour autant, alors j'arrose son indolence avec un peu plus de vin. Elle pointe du doigt une brune, toute en formes, une sorte de Sabrina, vous savez oui, celle qui chante "Boys Boys Boys" dans la piscine et qui remise sans cesse son soutien-gorge. Elle n'est pas dupe, elle sait que, comme tous les mecs, mon regard est aimanté par cette poitrine opulente mais elle est gentille et feint de croire que je suis moi-même un garçon gentil. Alors je me surprends aussi à le penser et continue ce petit jeu de séduction, comme s'il n'était pas intéressé, seulement intéressant.

Le sort ne semble pourtant pas décidé à me laisser tranquille, lorsque l'hôte des lieux vient pour me présenter, moi le Français de la soirée, à ses invités. Bien que l'idée de me séparer d'elle quelques secondes me paraisse étrangement insupportable, je me trouve bien obligé de satisfaire mon hôte et lui dit de ne surtout pas bouger, lui promettant de réapparaître rapidemment. Elle me dit OK mais lorsque je reviens, elle a déjà disparu, dans un souffle, me laissant seul, le souffle coupé. Il est des secondes qui paraissent toute une vie. Le laps de temps qui m'a séparé de l'instant où je l'ai enfin retrouvée, seule et  assise, les pieds dans l'eau, m'a paru être un de ces moments.
J'ai la démarche malhabile mais l'esprit assuré, conscient qu'il ne tient qu'à moi de prendre les devants. Encore toi, me dit-elle. Mais je ne le lui laisse pas le temps de finir sa phrase et m'agrippe furieusement à sa taille comme un Italien à sa bouteille de grappa. Plus question de la perdre, plus question de te laisser partir, je m'enivre d'elle, je m'enivre de toi, Chiara. Ancora tù.


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C'est un peu le Julien Clerc transalpin, la classe italienne en plus, Lucio Battisti a pas mal rythmé mes dernières journées avec ce petit son groovy juste ce qu'il faut. On dit que c'est dans les vieux pots qu'on fait la meilleure soupe. Pas faux. Chaleur.