mercredi 25 mai 2011

Larry Clark des années 80


On est en 89, j'ai 20 ans et je savoure cette nuit d'avril où l'on s'est enfin découverts, jusqu'au dernier fil. On est confortablement lovés à l'arrière de ma R5 et la chaleur de nos corps presque nus et blottis l'un contre l'autre s'évapore dans des ridules de buée qui viennent s'échouer de toute part des vitres alors que dehors la pluie ne semble pas avoir plus de répit que notre étreinte.
Son souffle chaud me rebat les tempes et fait écho aux paroles d'Alphaville qui sortent timidement de la radio. Je laisse glisser mon doigt sur son front et dans un geste indolent, le ressort lestée d'une goutte de sueur que je noie dans la masse noire de ses cheveux. Lorsqu'elle lève finalement la tête vers moi, son sourire se crispe dans une crampe, comme un ultime frisson qui la parcourt alors qu'elle détend enfin tous ses muscles et me jette un regard dont je n'arrive pas à dire s'il est soulagé ou intrigué.
Ses jambes arquées sont un point d'exclamation à notre coït et nos cœurs et nos corps enlacés sont un doigt d'honneur à la vieillesse qui nous entoure. Je n'ai jamais été sûr de rien dans ma vie, encore moins lorsqu'il s'agissait d'elle, mais pourtant à cet instant je ne doute pas que l'on restera, éternellement, jeunes et ensemble, comme une photo de Larry Clark qui aurait capturé l'innocence de ce moment. Alors je plaque mes mains sur ses grands yeux noirs pour qu'elle s'endorme sur cette dernière image et je m'assoupis, un sourire collé aux lèvres.

20 ans plus tard, le temps semble m'avoir donné tort. La grâce est trop remuante pour tenir dans une œuvre, elle se tortille comme une chenille qui entame sa mue et se délite un peu plus à chacun des battements de notre cœur. Pourtant, si aujourd'hui on n'est plus tout jeunes, on est toujours ensemble et je réalise enfin que c'est bien là l'essentiel. Larry Clark peut rester là où il est.


mercredi 18 mai 2011

Dans les choux


Comme d'habitude elle avait mis un temps fou à se préparer. Quand ce n'était pas le portable qui manquait à l'appel, c'était les clés qui avaient subitement disparu. Et moi, au milieu de tout ça, je ravalais ma colère, grinçant entre les dents quelques considérations peu amènes sur les femmes, redoutant la longue route qui s'annonçait.

On avait décidé de passer le week-end à Bruxelles chez des amis. Un peu pour essayer de sauver notre couple, surtout pour voir si nous nous aimions tout simplement encore. Depuis ce qui c'était passé, on essayait de recoller les morceaux. Je sais bien que je n'aurais jamais dû la tromper. Et sans doute encore moins, le lui avouer. Si au moins je m'étais confessé par soucis d'honnêteté mais même pas. J'avais juste pas eu assez de couilles pour continuer à supporter tout ça. Vivre dans le mensonge, subir un quotidien pour lequel je n'attendais plus rien.
Ce qui m’avait vraiment étonné, c'était sa réaction. Elle avait à peine bronché et avait dit qu'on allait s'en sortir, qu'elle n'avait pas sacrifié les plus belles années de sa vie pour une fin digne d'un mauvais feuilleton. Elle avait trente-trois ans et plus l'âge pour supporter ces conneries. Je m'étais attendu à tout sauf ça. J'aurais compris qu'elle pète un câble, qu'elle me crache à la gueule, qu'elle jette nos cadres photos par la fenêtre où je ne sais quel genre de réaction que l'on voit dans ces comédies dramatiques qui passent l'après-midi sur la 6. C'est cliché mais c'est humain... Beaucoup plus en tout cas que ce masque de placidité qu'elle affichait depuis ce jour-là. Ça en devenait même flippant. Et puis, à cette gêne permanente, s'ajoutait l'inconfort de nuits passées sur le canapé, sous les conseils avisés de notre thérapeute. L’enfoiré.

Parce que oui évidemment, on s'était embarqué dans une sorte de thérapie conjugale avec un praticien qui te demande ce qui ne va pas, ce qui t'énerve chez l'autre, ce que tu aimes chez lui, sans même concevoir que finalement le problème, c'est que cette personne t'indiffère. Tu ne l'aimes pas, tu ne la déteste pas, elle interagit juste avec toi et ça s'arrête là. Aucun rapport avec un complexe d'Œdipe ou une crise de la quarantaine quelconque.
Il est des histoires auxquelles il faut savoir mettre un point final. Le problème c'est qu'elle ne s'en était pas encore rendu compte. Rongé par la culpabilité, je ne me sentais pour le moment pas le courage de lui ouvrir les yeux et attendais qu'elle le fasse par elle-même. En espérant que ça ne lui prenne quand même pas trop de temps…

Une chanson de Lee Moses, Bad Girl, tourne en boucle. Je commence à fatiguer. Alors que je m'apprête à changer de titre, elle me dit de me concentrer plutôt sur la route. « Il faut que tu prennes cette putain de sortie direction Mons / Bruxelles ». Elle prononce ces paroles les dents serrées. Les mots semblent avoir du mal à quitter cette bouche désincarnée dont j'ai peine à croire que j'ai pris tant de plaisir à l’embrasser.
Comme prévu, on roule depuis quelques heures car on s'est perdu dans les dédales du Ring belge, ce périphérique qui n'en est pas vraiment un, maillage inextricable de routes toutes semblables. La nuit est tombée sans crier gare sur le macadam et les rares éclairages qui miroitent au loin donne au tableau une touche impressionniste. Et nous, au milieu de tout ça. Dans les choux. Direction Bruxelles.

Lorsque je dis à Sophie que nous sommes sur le point d'arriver, ses yeux noirs roulent sur eux même puis se retirent de dessous ses sourcils, non sans une certaine suspicion. Il semble que ce week-end, elle ait l'intention de mettre en doute la moindre de mes affirmations. Comme si elle comptait me jeter mon infidélité à la gueule à chacune de mes prises de position. Après tout comment pouvais-je être à nouveau fiable dans quoi que ce soit après ce que je lui avais fait subir ? C'était peut-être ça le fond du problème.

Il est 2h et quelques du matin, les gravas d'un chemin peu entretenu croustillent sous les roues de la Golf. Nous voilà arrivés. Une fois le moteur éteint, je prends le temps de regarder son visage puis plaque le mien contre le rétroviseur intérieur. Le contraste est saisissant, je suis au moins aussi claqué qu'elle a l'air reposée. Nos hôtes qui ne nous attendaient plus, nous propose de nous diriger directement vers la chambre, pour pouvoir profiter pleinement des jours à venir. Au moins ce week-end me permet-il de retrouver un lit convenable, les convenances sociales prenant le pas sur la fierté personnelle. Même si au fond, je suis sûr que nos amis ne sont pas dupes. Il est des regards glacials de ma « douce » qui ne trompent pas.

Le réveil est difficile. La nuit est toujours une parenthèse délicieuse, ma tristesse est comme un brouillard qui s'évanouit une fois l'obscurité arrivée, alors que mes problèmes conjugaux sont chassés par des souvenirs agréables ou des projections encore plus merveilleuses. Et puis pointent les premiers rayons du soleil. J'ai beau m'enfoncer la tête sous l'oreiller pour grappiller quelques minutes de quiétudes, le lever du jour vient inexorablement me rappeler à la réalité.
Pourtant aujourd'hui, je me sens étrangement serein. C'est sans doute parce que je suis loin de tout ce bordel parisien mais je suis d'humeur à déplacer des montagnes. Le temps semble aller dans mon sens, le soleil brille sur les toitures d'ardoise de la ville, laissant présager une journée très agréable.

On se perd dans les rues de Bruxelles et on atterrit dans la Grand Place, passage obligé pour toute personne équipée d’un appareil photo. Nos amis nous initient aux secrets de la statue d’ Everard 't Serclaes, une figure politique locale du 14ème siècle. La toucher est présage de chance alors je m’exécute, sans même trop savoir pour quoi prier.
Ça fait un petit moment que l’on marche lorsque l’on passe devant une petite fille, cloitrée derrière une grille au cuivre rongé par le temps. Elle semble terriblement seule. C'est vrai qu'elle a beaucoup moins de succès que son homologue masculin qui fait pipi, la pauvre, alors, comme pour la consoler, je lui verse le fond tiède de ma canette de Jupiler. A ta santé, Janeken pis. Ce geste ne semble toutefois pas plaire à Sophie qui me jette un regard noir et me jette tout court devant un bar à la pancarte clignotante. Ma pote me dit que le Délirium est l'un des bars les plus connus de Bruxelles et que sa carte de bière est à la hauteur de sa popularité. Un argument qui fait écho à mon envie pressante de boire de l’alcool alors je passe le seuil nimbé de lumière et plonge dans l'inconnu, l'obscurité du sous-sol.
Je pense qu’à la définition du mot interlope, dans le dico belge, figure une photo du Délirium. C’est l'incarnation absolue de ces lieux de perdition où quiconque entre, abandonne tout espoir de sobriété. Du moment que les soucis restent eux aussi sur le pas de la porte, ça me va parfaitement.
On pénètre dans une salle où le temps semble s'être arrêté au début des années 90. A cause des volutes de fumées d'une part (il est pour quelques mois encore autorisé de fumer en Belgique) mais aussi de la musique que crachent les baffles disséminées ça et là, les Red Hot tenant la jambe à Nirvana.

Alors que je slalome entre les tables, je me dis que c'est le genre d'endroit qui peut nous faire que du bien. L'atmosphère est à elle seule enivrante, j'ai l'impression de pénétrer dans un bunker alcoolisé. Il a beau être à peine 4 heures de l'après-midi, nous sommes plongés au beau milieu de la nuit. Le temps ne semble pas avoir plus de prise sur les fûts qui servent de tables que sur les centaines de bières qui composent la carte. Blonde, ambrée ou blanche, il y en a pour tous les goûts alors on commande pas mal de bières. 7 ou 8, différentes les unes des autres, que l'on décide de faire tourner vers la droite. Le caractère un peu adolescent de ce jeu me donne du baume au cœur.
Pouvoir partager de nouveau quelque chose avec Sophie me réjouit de manière vraiment surprenante. Cela me rappelle cette fois où, alors que je venais à peine de la rencontrer, dans une soirée étudiante, elle ne pouvait s'empêcher de boire au goulot de ma bière. Ce n'était pourtant pas les bières qui manquaient, mais non, sans cesse elle posait ses lèvres sur le goulot de la mienne. Moi ça m'était égal, au contraire même. Pour la première fois de ma vie, j'appréciais cette sensation de partager quelque chose avec quelqu'un. Moi qui m'étais si longtemps foutu de la gueule de ces couples qui mange dans le plat, l'un de l'autre.On dit souvent que le bonheur ne mérite d'être vécu que s'il est partagé, peut-être que ça s'applique à la bière au fond.
Alors que je perds dans ces considérations, je jette un regard vers Sophie. Son sourire fait écho au mien. Je me dis que finalement elle a peut-être raison, on peut s'en sortir. Çà me fait du bien de retrouver cette sensation, j'avais fini par oublier ce que c'est que de ne pas se prendre la tête avec elle. Toutes les raisons qui m'ont poussé à m'attacher à elle se sont rappelées à mon bon souvenir.

Le problème c'est que les trahisons amoureuses cristallisent comme une croûte sur la peau. Avec le temps, la plaie semble se cicatriser mais la blessure reste profonde. Le moindre geste maladroit risque de raviver la plaie purulente. C'est souvent une parole blessante, parfois un geste déplacé. Ça a été un regard mal orienté.
Un pote m'a fait signe, m’indiquant du coin de l’œil le comptoir en zinc. La serveuse était vraiment mignonne mais, manque de chance, Sophie surprenant mon hochement de tête, m'a jeté un regard noir. Je n'ai pas jugé utile de me justifier. J'ai avalé le fond de ma « Gueuse » d'une traite et lui ait proposé de faire un tour dehors. Elle a acquiescé. C'est vrai, on avait des problèmes et il était temps de sortir les affronter. Lorsque la plaie ne cicatrise pas, il faut savoir amputer.

mercredi 11 mai 2011

كان اسمها سارة


J'arrive à Tanger et je prends un taxi pour me rendre chez une fille qui habite une rue étroite et montueuse dans le quartier européen dominé par la colline de la Casbah. Là où les lumières clignotent  et les ruelles bourdonnent.
Sur le chemin, on croise un groupe de filles en longues djellabas arpentant les trottoirs sous des enseignes au néon vantant une marque de soda américaine. Elles ont l'air si saintement lugubres et leurs yeux, ces yeux noirs, rien qu'eux, dans tout cet attirail d'une chasteté exemplaire, suffisent à allumer une flamme dans mon cœur et mon corps. Ça fait à peine quelques minutes que je viens d'arriver dans la ville et je sens déjà que je ne suis plus seul.

Pour être honnête, je connais pas vraiment la fille que je rejoins maintenant. Et pour aller encore plus au fond des choses, je dois avouer que le peu que je sais d'elle, je l'ai appris dans des billets qu'elle écrit sur le Net. En considérant encore que j'ai réussi à démêler le vrai du faux.
J'avais fait sa "rencontre" après avoir parlé à une pote de mon projet de m'installer à Tanger. Elle m'avait dit qu'elle connaissait une fille du coin qui bloguait pas mal. Du coup, j'avais commencé à la suivre au quotidien, osant un jour prendre le contact et la prévenant de mon arrivée imminente.

Je vous arrête tout de suite, c'était pas ce genre de rencontres virtuelles un peu désespérées que permettent Meetic ou Facebook, c'était vraiment autre chose, du moins je l'espère. A défaut de coup de cœur, j'avais eu une envie furieuse de la rencontrer. Et puis, ça tombait bien puisque je comptais m'installer dans son quartier.  
A vrai dire je savais pas même pas à quoi elle ressemblait, même si j'avais profité du voyage pour me l'imaginer. Je crois que, vers la fin, je m'étais décidé pour un mix de Bukowski et Sasha Grey. En espérant qu'elle ait la gouaille du premier et le physique de la seconde. Et pas l'inverse.

Une inscription qui me semble étrangement familière surplombe le seuil de sa porte. "Moé, kehtlét l'mhche". Me voilà arrivé et je lui fais enfin face, alors que le soleil décline peu à peu. Volontairement ou non, je reste caché dans l'ombre d'un palmier, comme si je n'osais pas encore me montrer tout entier devant elle. Elle se tient, elle, tranquille, sirotant son thé et jouant négligemment avec une mèche de ses cheveux.
Vous savez quoi ? En fait, j'ai pas vraiment envie de vous la décrire. Si vous voulez vraiment la rencontrer, vous savez maintenant où aller. En attendant, je la garde pour moi seul. Et puis, au fond, est-ce que c'est vraiment l'essentiel ? C'était pas tant sa gueule qui m'avait attiré que ses angoisses et ses crises existentielles… Tous ces coups de gueules qu'elle postait régulièrement, alternant, avec une rage égale et ce langage cru qui la caractérise, entre les mecs, le porno, la religion et les filles.

Je m'étais attendu à rencontrer une sorte de volcan en fusion, une fille qui bouillonnerait sous une masse de cheveux. Châtains les cheveux, j'aurais dit. Mais non, maintenant qu'elle me fait face, c'est tout le contraire, elle parait étrangement apaisée. C'est ce qui me frappe, ce contraste entre l'image que je me suis faite d'elle et celle qu'elle semble être vraiment. Bon, je suis pas naïf au point de pas savoir qu'on cristallise toujours énormément dans ce genre de situations, qu'on imagine toujours la personne comme on aimerait qu'elle soit, mais là, quand même. Je pensais avoir affaire à Louise, j'avais plutôt affaire à Thelma.
C'est pourquoi j'ai pas pu m'empêcher de lui dire qu'elle était plus posée en vrai que sur Internet. Sa réponse m'a cloué sur place, me rappelant à qui j'avais affaire.

"Ça ne m'étonne pas que tu penses ça. On m'a dit qu'il fallait que je passe toute ma vie à affirmer que je suis une salope, montrer mes seins et cacher mon coeur, ce genre de conneries..  J'ai beau vouloir chier une bonne fois pour toute mon passé bien élevé, j'y arrive pas. Alors du coup, parfois, ça part tellement en couille que ça vire à la diarrhée littéraire, la catharsis, c'est ça pour moi, exprimer les choses les plus ignobles que je puisse imaginer. Tu comprends ? L'attitude la plus visqueusement répugnante, la plus immonde possible. Tous les « putain » et les « je t'emmerde » que je balance dans mes textes sont autant de marches vers la rédemption. Quand j'aurais fini avec tout ça, je serai pure comme un ange. Je serai à la fois Marie et Marie-Madeleine. Vu ?"
Alors qu'elle dit ça, une pâle lueur blanche s'allume dans ses yeux. Quoique, d'une seconde à l'autre, j'ai l'impression qu'elle soit tout aussi capable de braquer un fusil sur ma tempe. Marie et Marie-Madeleine donc. Vu.

Toujours sur ce courant alternatif qui la caractérise, elle me propose de jouer aux cartes alors qu'elle prépare des boulettes de majoun, une confiserie qu'on fabrique avec du miel, des épices et du kif. Alors que je reviens dans sa chambre après avoir été cherché des épices, je la trouve figée, une carte collée sur le front, son regard mystique plongé dans mes yeux.

- On devrait tous avoir le droit d'utiliser son joker, au moins une fois dans sa vie. Qu'est-ce que t'en penses ? T'en ferais quoi toi ? Rétablir la paix dans le monde ou ce genre de conneries ?
- Je crois que je m'en servirais pour éviter de répondre à ce genre de question. Je lui ai répondu.
C'est tout ce qui m'est venu à l'esprit, c'est nul je le confesse, mais je vous mets au défi de trouver meilleure réponse à une question aussi soudaine qu'étrange. Et puis, maintenant que je suis là, ai-je vraiment besoin de quelque chose d'autre ?

De toute manière, ça importe peu car elle ne semble pas avoir attendu de réponse, continuant à malaxer dans ses mains les boulettes qu'on mâchonne ensuite, pendant des heures, en s'aidant de thé brulant pour les faire descendre. Je la regarde se lécher les doigts avec soin et gourmandise. Un geste aussi anodin que sensuel dans le confort indolent de sa chambre. Kat Onoma version Maghreb.
Au bout de deux heures de ce petit rituel, nos iris deviennent démesurés, noirs comme des billes d'onyx qui roulent sous nos sourcils alors qu'on fait les quatre cents pas dans la pièce. Brèche sensationnelle par où s'engouffre une foule de sensations colorées, depuis les mosaïques qui clairsèment sa chambre jusqu'au dernier halo de lumière qui darde à travers la persienne, dans un ballet de particules de poussières.

« It takes more than fucking someone you don't know to keep warm / Do you really think that for a house-beat you'll find your love in a hole ? » Comme un signe, la musique des Frightened Rabbit s'extirpe d'un transistor fatigué et se hisse à travers les rainures des murs décrépis. J'essaie de me raccrocher à chacune de ces paroles comme à une bouée de sauvetage qui doit m'éviter de me noyer sous la profusion de sentiments. Je me suis souvent reproché cette timidité maladive qui m'empêche de draguer, ces filles encore vives que je voudrais aimer. Pourtant cette fois, ce doute permanent m'a abandonné lorsqu'elle m'a rappelé, dans un murmure, que j'avais encore un joker à utiliser. Alors je l'ai rejoins dans son lit, juste pour la regarder lire à la lumière de la lampe de chevet, face aux fenêtres ouvertes du patio, à la mer qu'on entend soupirer et aux étoiles que l'on sniffe dans les caniveaux. 
Parfois, on n'a pas besoin de coucher avec une fille pour se tenir au chaud.

mardi 3 mai 2011

Rick Genest, la mode dans la peau ?

On t'a dit de sourire à la caméra Rick !

Non, Rick Genest n’est pas l’un des cousins de la famille Adams. Ce Montréalais d’origine n’est ni plus ni moins que la nouvelle créature arty qui fascine autant qu’elle dérange le petit monde de la mode. Il faut dire qu’entre univers gothique et cyberpunk, Rick Genest tranche singulièrement au sein de la meute de mannequins filiformes et consensuels lorsqu’il s’expose telle une oeuvre d'art sur les podiums. Il est depuis peu le nouveau visage (tatoué) de Thierry Mugler à la collection duquel il apporte sa touche sombre et tourmentée.  

L’histoire de  ce « squeegee » (laveur de carreaux) montréalais tient plus du conte 2.0 que du conte de fée (ou de sorcière selon les points de vues). C'est en fait le directeur de création de Thierry Mugler, Nicola Formichetti, qui a repéré sur le net, les photos toutes plus morbides les unes que les autres qu’il exposait. Car Rick Genest avait beau vivre chichement dans la rue, il n’en avait pas moins sa page Facebook. Une contradiction symptomatique de la personnalité complexe de ce nihiliste devenu en seulement quelques semaines et un peu malgré lui, l’une des égéries les plus courues de la mode. Car Formichetti, qui est aussi le designer de Lady Gaga, a mis en relation la reine des freaks et celui que l’on surnomme « Zombie Boy » pour que ce dernier fasse une apparition dans le clip Born This Way. Des millions de vues plus tard, le zombie entrait enfin dans la lumière.

Que pense l’intéressé de tout ça ? Pas grand-chose finalement. Ce qui branche Rico, c’est plutôt le monde du carnaval au sein duquel il performe depuis quelques année dans divers freak shows de la scène underground montréalaise. Ses talents ? Se coucher sur un lit de clous, manger des vers et du feu, mettre des objets dans son nez. Des activités qui semblent plus dans la lignée de Fear Factor que dans celle de X Factor.
Repousser toute trace d'humanité semble être ainsi le leitmotiv de ce garçon dont le mal être affleure par tous les pores de sa peau tatouée. Une anecdote issue de son enfance vaut à ce titre toutes les psychanalyses du monde. A l’adolescence, Rick a été opérée d’une tumeur du cerveau dont il ne pensait jamais réchapper et depuis laquelle il affirme du reste, être mort, freak coincé entre deux mondes, qui « pourrit » sous nos yeux. "Mon intention, c'est de ressembler à un corps décomposé, mangé par les vers et les cafards. Je ne crois pas que ce soit vraiment l'idée qu'on se fait de la beauté", revendique-til ainsi. Sa «zombification» est d’ailleurs loin d’être achevée, il prédit ainsi que dans un an, son corps sera entièrement couvert. Il s’attaquera alors à d’autres parties de son anatomie (dents de vampire, encre dans le blanc des yeux et langue de serpent sont notamment au programme des réjouissances).

Expression d’un mal être ou délire arty poussant le macabre aux confins du sublime, la question mérite en tout cas d’être posée. Car Lady Gaga a beau chanté le contraire, Rick Genest n’est certainement né comme ça, il l’est devenu. Une chose est sûre en revanche, le monde de la mode l’adore tel qu’il est maintenant, un type capable de faire passer Marilyn Manson pour un pauvre emo !